Une enquête du British Medical Journal a révélé que, dans le cadre de la mise au point d’un vaccin contre la tuberculose, des essais cliniques sur l’homme ont été menés alors même que les résultats sur animaux n’avaient pas été concluants. Explications et implications.
Cette mi-janvier, une bien sombre affaire a secoué le monde de la recherche animale, soulevé tout un tas d’interrogations et entraîné un appel à des mesures strictes pour encadrer davantage les expérimentations sur animaux.
Des résultats défavorables passés sous silence
Une enquête, menée par le British Medical Journal (BMJ), a examiné MVA85A, candidat-vaccin développé par une équipe de l’Université d’Oxford (Royaume-Uni), dont l’objectif est de venir renforcer l’efficacité du vaccin BCG contre la tuberculose.
Selon les publications officielles des chercheurs, MVA85A aurait montré son efficacité sur quatre modèles animaux (souris, cochon d’Inde, bovins et primates), mais n’a cependant pas démontré d’efficacité lors des premiers essais cliniques menés en 2009 sur des nourrissons sud-africains.
Au vu des ces résultats contradictoires, un examen indépendant du BMJ s’est penché sur les données des études précliniques.
Verdict : les scientifiques de l’étude ont affirmé publiquement que les résultats sur animaux avaient été concluants, alors que la réalité est moins évidente. Certaines études sur animaux auraient volontairement été occultées et passées sous silence, car elles ne parvenaient pas au résultat attendu. Seuls les tests favorables ont été présentés publiquement.
Selon le dr Deborah Cohen, rédactrice adjointe du BMJ, les disparités au niveau des résultats entre les études sur animaux et sur l’Homme ont amené les principaux financeurs des travaux sur la tuberculose à repenser leur financement, ce qui ralentit la recherche dans ce domaine, pourtant capital. En outre, Deborah Cohen relate la difficulté éprouvée par les équipes du BMJ enquêtant sur les travaux de l’Université d’Oxford pour obtenir les protocoles de recherche et comprendre le but exact de certaines études sur animaux. Signe d’un manque de transparence important et inquiétant.
De l’urgence de “réformer” la recherche animale
Selon nombre de chercheurs interrogés par le BMJ au sujet de cette affaire, celle-ci ne fait hélas qu’illustrer des dérives de la recherche animale : mauvaise conception de l’étude, manque de compréhension des méthodes statistiques, absence de pré-spécification du but des études sur animaux, déclaration sélective des résultats entraînée par la pression visant à obtenir des fonds et l’approbation des comités d’éthique,… Le cas du MVA85A révèle ainsi les failles d’un système qui manque de garde-fous et de contrôles, déficiences d’autant plus graves que ces études précliniques servent à valider le passage aux études cliniques sur l’Homme, et d’autant plus regrettable à l’heure où augmente la défiance de l’opinion publique quant à l’expérimentation animale, faute de clarté et d’explications.
Aussi les relecteurs du BMJ en appellent-ils à la mise en place de mesures concrètes pour en finir avec cette expérimentation animale peu exemplaire. Ils estiment ainsi qu’un examen systématique et minutieux de toutes les études menées sur animaux doit être conduit avant de lancer les essais cliniques.
Dans leur éditorial du BMJ daté du 10 janvier, Merel Ritskes-Hoitinga et Kim Wever appellent à “un changement culturel dans lequel les chercheurs seraient récompensés pour avoir produit des résultats reproductibles à la fois pertinents pour les patients, et justes pour les animaux utilisés”.
“Par définition, rechercher signifie re-chercher”, chercher de nouveau, rappellent Merel Ritskes-Hoitinga et Kim Wever. Ils estiment qu’ “un examen systématique des études précliniques sur les animaux est une véritable recherche et une base solide pour conduire les essais cliniques ultérieurs. Si les organismes responsables [de l’évaluation et de la validation des études précliniques] arrivent à effectuer un changement culturel, en exigeant des rapports de haute qualité et des revues systématiques des études animales, le potentiel des études animales, qui vise à transformer la santé humaine, sera pleinement exploité.”
Comme le souligne Fiona Godlee, éditrice en chef du British Medical Journal, les lecteurs avisés auront compris qu’il ne s’agit pas là de remettre en cause la recherche de vaccins, “plus nécessaire que jamais”, d’autant que la tuberculose multirésistante gagne du terrain. Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause la recherche animale, encore aujourd’hui nécessaire dans la recherche clinique et la mise au point de nouveaux traitements. Il est simplement question ici de l’urgence d’améliorer l’intégrité de la recherche animale : sa fiabilité, sa reproductibilité, son analyse, ses comptes rendus et son interprétation, dans le but, in fine, d’améliorer la santé humaine et animale.
Hélène Bour
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