đŸŽ™ïž Neurosciences : quels modĂšles pour Ă©tudier la complexitĂ© du cerveau ?

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Le cerveau est un des organes les plus complexes, tant par ses fonctions que sa composition. SiĂšge de la mĂ©moire et de l’apprentissage, il est aussi au cƓur de notre activitĂ© motrice et de la perception. Pour percer ses mystĂšres, les neurosciences ont recours Ă  des essais cliniques, mais Ă©tudient aussi diffĂ©rents modĂšles animaux, cellulaires et informatiques. Lesquels et Ă  quelles fins ? ÉlĂ©ments de rĂ©ponse Ă  l’occasion du colloque NeuroFrance 2023 avec Annie Andrieux, prĂ©sidente de la SociĂ©tĂ© des Neurosciences* et chercheuse au laboratoire Grenoble Institut des Neurosciences* et Anne Didier, professeur en neurosciences de l’UniversitĂ© Claude Bernard Lyon 1*.

Ce
qu'il
faut
retenir

 

Annie Andrieux et Anne Didier

Quels sont les objectifs des recherches en neurosciences ?

Annie Andrieux : Nous essayons de comprendre le fonctionnement du systĂšme nerveux et en particulier du cerveau. Les neurosciences sont, par essence, multidisciplinaires et rĂ©unissent des chercheurs qui s’intĂ©ressent autant Ă  la comprĂ©hension biologique que psychologique du cerveau, mais aussi des spĂ©cialistes de l’imagerie, de la gĂ©nĂ©tique, etc. Ces recherches s’attaquent Ă  tous les phĂ©nomĂšnes liĂ©s au systĂšme nerveux : le sommeil, la perception, le mouvement, le stress, l’apprentissage, l’addiction et bien d’autres. Elles portent Ă©galement sur des pathologies et nous aident alors Ă  comprendre ce qui dysfonctionne au niveau cĂ©rĂ©bral.

Anne Didier : Cette diversitĂ© tient au fait que les enjeux sont multi-Ă©chelles. Ils visent aussi bien Ă  la comprĂ©hension du fonctionnement du cerveau qu’à sa structure. Plus globalement, nous essayons de relier des mĂ©canismes cellulaires et molĂ©culaires au comportement. Cette diversitĂ© d’échelles et de problĂ©matiques requiert une multitude de modĂšles adaptĂ©s Ă  chaque question.

Le modĂšle animal fait partie intĂ©grante d’une continuitĂ© de modĂšles qui commence par l’étude d’interactions entre des molĂ©cules Ă  l’aide de modĂšles in vitro.

Quels sont les principaux modÚles animaux impliqués dans les recherches sur le cerveau et à quelle fin ?

AA : Dans notre discipline, le modĂšle animal fait partie intĂ©grante d’une continuitĂ© de modĂšles qui commence par l’étude d’interactions entre des molĂ©cules Ă  l’aide de modĂšles in vitro. D’autres hypothĂšses sont testĂ©es sur des organismes de plus en plus complexes, dont les animaux, avant d’atteindre l’humain.

AD : Chaque modĂšle animal prĂ©sente des avantages et des inconvĂ©nients qui dĂ©terminent pour quels types de recherches il sera le plus pertinent. Les modĂšles majoritaires sont les rongeurs utilisĂ©s dans une grande diversitĂ© de travaux notamment en lien avec le comportement. Par exemple, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que lorsqu’une souris apprend une nouvelle tĂąche, cela entraĂźne un remodelage des neurones de son hippocampe, la partie du cerveau impliquĂ©e dans la mĂ©moire. D’autres modĂšles, peut ĂȘtre plus inattendus, sont aussi trĂšs utiles. Par exemple, le poisson zĂšbre est transparent. Il est donc privilĂ©giĂ© pour les Ă©tudes liĂ©es Ă  l’imagerie de l’activitĂ© des neurones, afin de suivre le dĂ©veloppement ou la plasticitĂ© en direct au sein du cerveau. Les mouches se reproduisent trĂšs vite et sont facilement manipulables gĂ©nĂ©tiquement. Elles sont ainsi adaptĂ©es aux Ă©tudes Ă  l’échelle molĂ©culaire. Le ver Caenorhabditis elegans est un nĂ©matode dont le nombre et la position des neurones sont bien connus. Il peut servir Ă  des Ă©tudes trĂšs prĂ©cises liant la gĂ©nĂ©tique et l’étude du systĂšme nerveux.

AA : Il y a Ă©galement des gros animaux comme les singes qui ont permis d’apporter d’importantes dĂ©couvertes en neurostimulation. Cette mĂ©thode thĂ©rapeutique consiste Ă  stimuler des zones du cerveau afin de traiter certaines pathologies cĂ©rĂ©brales comme la maladie de Parkinson, l’épilepsie ou la dĂ©pression. La dĂ©couverte de neurones miroirs a aussi Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e sur des singes avant d’ĂȘtre confirmĂ©e chez l’Homme. Ces neurones s’activent lorsque nous observons quelqu’un d’autre faire une action. Les primates sont gĂ©nĂ©ralement pertinents pour des Ă©tudes fondamentales et prĂ©cliniques et lorsqu’un traitement doit ĂȘtre rapidement transfĂ©rĂ© Ă  l’Homme. Enfin, les cochons sont utilisĂ©s en recherche sur les interfaces neuronales – des systĂšmes de communication entre le cerveau et un ordinateur notamment – car ces animaux ont un cerveau de la mĂȘme taille que le nĂŽtre.

 

Quelles sont les méthodes alternatives les plus prometteuses ?

AD : Les organoĂŻdes cĂ©rĂ©braux gĂ©nĂ©rĂ©s Ă  partir de cellules souches sont en plein essor. Ils prĂ©sentent notamment un intĂ©rĂȘt potentiel pour la recherche menĂ©e sur les animaux, y compris les singes sur le dĂ©veloppement de techniques de manipulation de l’activitĂ© neuronale Ă  l’aide de vecteurs viraux. C’est le principe de la thĂ©rapie gĂ©nique : un gĂšne codant une protĂ©ine photosensible est introduit au sein d’une cellule et activĂ© sous l’effet de la lumiĂšre. Dans ce cadre, les organoĂŻdes pourraient ĂȘtre utilisĂ©s lors d’expĂ©riences prĂ©liminaires d’évaluation de l’expression de ces vecteurs viraux et permettraient ainsi de rĂ©duire le nombre d’animaux. Ils servent aussi sur des questions d’organisation et de formation des synapses – les zones d’interactions entre deux neurones. Cependant, les organoĂŻdes ne permettent pas de remplacer l’animal dans les expĂ©rimentations Ă  l’heure actuelle dĂšs qu’il s’agit de relier des Ă©vĂšnements cellulaires au comportement.

AA : Par ailleurs, les modĂšles computationnels, c’est-Ă -dire les simulations informatiques se dĂ©veloppent. Ils permettent de tester un grand nombre d’hypothĂšses afin de mieux cibler les plus Ă  mĂȘme de rĂ©ussir. Ils peuvent aider Ă  identifier des bio-marqueurs de maladies cĂ©rĂ©brales et nous orienter vers de la mĂ©decine personnalisĂ©e chez l’ĂȘtre humain. Des dĂ©marches transnationales de partage de donnĂ©es et de protocoles visent en ce sens Ă  dĂ©multiplier la puissance des rĂ©sultats et leur exploitation. Mieux exploiter les donnĂ©es captĂ©es permettra d’avancer plus vite dans nos recherches et de limiter le recours aux animaux sur le long terme.

Il ne sera jamais possible de faire une Ă©tude de comportement sur un organoĂŻde.

Qu’en est-il des difficultĂ©s Ă  transposer les rĂ©sultats obtenus sur ces diffĂ©rents modĂšles vers l’humain ?

AD : C’est une vraie problĂ©matique. Ces derniĂšres annĂ©es, un dĂ©bat a eu lieu Ă  propos de l’expĂ©rimentation sur la souris autour de la maladie d’Alzheimer, au point de remettre entiĂšrement en cause l’intĂ©rĂȘt de ce modĂšle. En fait, des traitements qui fonctionnaient bien chez l’animal n’ont rien donnĂ© chez l’humain. Ces Ă©checs tiennent sans doute Ă  plusieurs raisons. Une partie de la responsabilitĂ© tient de la communautĂ© des chercheurs qui parfois n’intĂšgre pas suffisamment le fait que les modĂšles murins des pathologies humaines ne reproduisent que partiellement la pathologie. Surtout pour des maladies liĂ©es au vieillissement, car l’échelle de temps est peu compatible avec le dĂ©veloppement au long cours de la pathologie (une souris vit en moyenne 2 ans). Il existe aussi une barriĂšre d’espĂšce qui peut expliquer en partie la difficultĂ© Ă  transposer certaines donnĂ©es de l’animal Ă  l’humain. NĂ©anmoins, il est important de noter que si la recherche sur les modĂšles animaux n’apporte pas forcĂ©ment un traitement sur mesure, l’ensemble des connaissances acquises grĂące Ă  ces modĂšles est crucial pour la comprĂ©hension de nombreux processus pathogĂšnes, y compris la maladie d’Alzheimer. Il ne faut vraiment pas l’oublier.

AA : Le danger actuel est que les extrapolations faites sur les modĂšles de souris pour la maladie d’Alzheimer sont en train de se reproduire avec les organoĂŻdes. Ces derniers sont souvent prĂ©sentĂ©s comme rĂ©volutionnaires au point de remplacer totalement l’animal, mais ce n’est pas vrai. Il ne sera jamais possible de faire une Ă©tude de comportement sur un organoĂŻde. En revanche, ils sont complĂ©mentaires au modĂšle animal. De façon gĂ©nĂ©rale, la prĂ©dictibilitĂ© des modĂšles, peu importe leur nature, a toujours Ă©tĂ© et reste une grande question difficile Ă  manƓuvrer. Les interrogations qu’elle engendre nĂ©cessitent davantage de connaissances, ce qui justifie l’intĂ©rĂȘt des recherches menĂ©es actuellement sur l’ensemble de ces modĂšles.



Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor

* : La SociĂ©tĂ© des neurosciences organise la communautĂ© des neuroscientifiques français et se trouve Ă  l’interface entre recherche et grand-public. Elle organise notamment chaque annĂ©e la semaine du cerveau, ainsi que le colloque bisannuel NeuroFrance. 

Le laboratoire Grenoble Institut des Neurosciences est un centre de recherche de l’Inserm/UniversitĂ© Grenoble Alpes/CEA/CHU de Grenoble.

Anne Didier est rattachée au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS/Inserm).

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