Un rapport d’étude « L’expérimentation animale et les primates » a été publié mi-avril. Se présentant comme un document scientifique, il est pourtant rempli de biais sur lesquels le Gircor vous propose de revenir… Morceaux choisis !
« Chaque année, des milliers de primates sont utilisés dans les laboratoires français. Il s’agit très majoritairement de macaques à longue queue, une espèce déclarée «en danger» d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2022. » (p3)
Ces macaques à longue queue sont originaires d’Asie du Sud-Est. Ils ont été introduits sur l’Île Maurice par des colons hollandais au XVIIème siècle. Si dans leur habitat d’origine, ils sont effectivement en danger, ils ne le sont pas sur Maurice d’où une grande partie des animaux sont importés. Ils y constituent même un véritable danger pour la faune et flore endémique car ce sont des omnivores opportunistes. Ils y sont jugés comme une espèce invasive.
« Les souffrances endurées par les primates dans les laboratoires sont très variables – pour exemple, même si les tests de toxicité impliquent le plus souvent des souffrances «légères», ils sont sources de souffrances «modérées» ou «sévères» dans de nombreux cas. » (p6)
Le rapport d’étude indique que « les tests de toxicité impliquent le plus souvent des souffrances légères » mais se contredit dans la même phrase puisqu’ils sont également de « sources de souffrances modérées ou sévères dans de nombreux cas ». Aucun niveau de souffrance sévère n’apparait pourtant dans le tableau accompagnant ce texte.
Les faits : les statistiques 2021 du Ministère de la recherche concernant les primates indiquent 1,22% de procédures sans réveil, 70,58% de procédures légères, 24,33% de procédures modérées et 3,87% de procédures sévères.
« Si un laboratoire ne respecte pas la réglementation sur l’expérimentation animale, il recevra une tape sur la main et de gentils conseils. C’est ce qui ressort des enquêtes et des rapports d’inspection récents, perclus de non-conformités et pourtant non suivis de sanctions. En cause : une réglementation trop laxiste et des difficultés à obtenir une réponse pénale contre les personnes responsables de cruautés envers des animaux. » (p14)
Contrairement à ce qui est relaté, les inspections de la DDPP sont tout, sauf des visites de courtoisie. Le Vademecum d’inspection des établissements utilisateurs et éleveurs de 64 pages montre bien qu’une visite d’inspection va porter sur des points très nombreux et très variés, que ce soit sur la configuration, l’entretien et la sécurité des locaux, la gestion des médicaments, la formation du personnel, les conformités documentaires…
Chacun de ces points peut engendrer une non-conformité, sans que pour autant il y ait aucun acte de maltraitance. Il y a donc une confusion volontaire entre non-conformité et cruauté envers les animaux.
« Face à l’annonce d’Air France en juin 2022, les réactions ne se sont pas fait attendre, notamment de la part du Gircor et de BioSimia, qui suggèrent que s’il devient trop difficile d’utiliser des primates en France, la recherche se délocalisera dans des pays moins soucieux du bien-être des animaux. Implicitement, on comprend que les chercheuses et chercheurs français seraient prêts à passer outre le bien-être des animaux pour poursuivre leurs recherches si on les y autorisait. » (p15)
C’est pourtant exactement le message inverse de la prise de position de BioSimia relayée par le Gircor : les chercheurs français ne veulent pas que le bien-être des animaux soit mis au second plan mais ils savent que si la recherche ne se fait pas en France, elle se fera par d’autres acteurs, dans d’autres pays et dans des conditions qui ne correspondent pas aux standards européens, les plus stricts au monde pour la prise en compte du bien-être des animaux.
Le Gircor et le GDR Biosimia se font « passer pour des spécialistes dénués de conflits d’intérêts alors qu’elles représentent les intérêts de nombreux laboratoires dont le financement repose principalement sur l’expérimentation animale. » (p16)
Ni le GIRCOR, ni le GDR BioSimia ne dissimulent les informations sur leurs adhérents que l’on trouve sur leurs sites internet.
Ils représentent les laboratoires -privés ou publics- qui réalisent des activités de recherche biologique et médicale, au moyen de diverses approches, dont le recours aux animaux à des fins scientifiques et aux méthodes alternatives.
« malgré […] les données très réservées sur l’intérêt et la validité des modèles animaux dans de nombreux domaines. » (p16)
La plupart des réserves concernant l’intérêt et la validité des modèles animaux sont basées sur une étude publiée il y a 20 ans « Translation of Highly Promising Basic Science Research into Clinical Applications » (2003) basée sur 101 articles publiés entre 1979 et 1983 et concluait que moins de 10% des résultats en recherche fondamentale annoncés comme prometteurs pour la santé trouvaient une application clinique dans les 20 ans.
Il faut noter que sur ces 101 articles, seuls 64 comprenaient l’utilisation d’animaux.
« Quelques exemples de pratiques prétendument nécessaires
En 2022, on peut pourtant se demander s’il est bien «nécessaire» de modifier génétiquement des animaux «de rente» pour les rendre plus productifs dans un contexte où les épidémies se multiplient dans les élevages et où les spécialistes du climat alertent sur l’urgence de la transition vers les protéines végétales. De même, l’induction de chocs anaphylactiques chez des cochons d’Inde dont les poumons serviront d’ingrédient à des produits homéopathiques peut poser question quant à sa «nécessité». » (p17)
Dans un rapport concernant “l’expérimentation animale et les primates”, il est surprenant de ne trouver comme seuls “exemples de pratiques prétendument nécessaires”, des points concernant l’élevage, les protéines végétales et les cochons d’Inde utilisés dans le développement de médicaments homéopathiques… Où sont les exemples de pratiques concernant les primates ?
« Dans les milieux de l’expérimentation animale, est jugée «nécessaire» toute utilisation d’animaux pour atteindre un but fixé par un protocole expérimental qui ne peut pas être atteint par d’autres moyens. Mais les buts fixés sont tellement spécifiques que la donne est faussée » (p17)
La démarche scientifique repose sur la formulation d’hypothèses, qui sont soit confirmées, soit infirmées par des expérimentations. Dans ce cadre, il est indispensable de fixer des objectifs clairs et spécifiques, c’est même le propre de la démarche scientifique, qu’elle ait recours à des animaux ou pas. Avoir des objectifs larges et compter sur la chance pour répondre à une question ne relève pas de la démarche scientifique.
« De nos jours, le critère majeur retenu par les spécialistes en éthique animale et en philosophie morale est la sentience, c’est-à-dire la capacité d’un individu à ressentir du plaisir, de la douleur et des émotions, à avoir un point de vue et des intérêts vis-à-vis du monde qui l’entoure. C’est ce qu’expose la Déclaration de Montréal, signée en octobre 2022 par des centaines de spécialistes en philosophie morale et politique de diverses obédiences. » (p17)
Ce rapport d’étude repose donc sur des préceptes de philosophie morale relevant de l’antispécisme et non sur des données scientifiques solides comme il veut le faire croire.
« Au fil de l’histoire, certaines découvertes ont été faites en utilisant des animaux. Toutes ont fini par être démontrées à nouveau, ou peuvent l’être aujourd’hui, par le recours à de nouvelles méthodes expérimentales n’utilisant pas d’animaux, toute connaissance pouvant être établie de différentes manières. » (p19)
Cette affirmation péremptoire et outrancière (qui englobe toutes les recherches) propose tout simplement de réécrire l’histoire a posteriori.
C’est justement parce que des découvertes ont été faites, dans un premier temps, à l’aide d’animaux que les chercheurs ont souhaité mettre au point de nouvelles méthodes n’y recourant pas. Est-ce qu’aujourd’hui la rage serait éradiquée si Pasteur n’avait pas, en premier lieu, eu recours à des animaux ? Est-ce que les avancées thérapeutiques pour les personnes infectées par le VIH auraient pu voir le jour sans des modèles animaux ? Est-ce que des vaccins contre la COVID-19 auraient pu être mis au point avec seulement des méthodes sans animaux ?
« Ces dernières années, des «humains-sur-puce» permettent de modéliser in vitro le passage de molécules par différents organes reliés entre eux par des systèmes microfluidiques. » (p19)
Contrairement à ce qui est relaté, la mise au point d’ «humains sur puce» relève aujourd’hui plus de la science-fiction que de la science. Et quand ce sera possible (si cela l’est un jour), ne faudra-t-il pas considérer ces «humains sur puce» comme des êtres sentients et par là-même demander l’interdiction de toute recherche dessus ?
« La recherche clinique et l’épidémiologie, in humano, avec le consentement éclairé des sujets humains solidaires, sont des sources précieuses d’informations à ne pas négliger. Ces méthodes ne demandent qu’à être développées dans le respect d’une réflexion bioéthique déjà bien encadrée. » (p19)
Les études cliniques de phase I reposent déjà sur des volontaires humains. Les recherches fondamentales menées avec des humains font partie intégrante des nombreuses approches utilisées pour comprendre le vivant et la biologie humaine, et sont très souvent utilisées en parallèle ou sont informées par des recherches menées avec des modèles animaux.
En aucun cas, l’utilisation d’humains lors de phases préalables de validation de nouvelles thérapies ne peut être éthiquement considérée comme une méthode alternative possible.
« Nos revendications […] : l’établissement […] d’un calendrier inconditionnel de sortie de l’expérimentation animale pour les tests réglementaires [et] d’un calendrier inconditionnel de sortie de l’expérimentation animale pour la recherche fondamentale et appliquée dans l’Union européenne. » (p19)
Pour conclure, ce rapport d’étude sur «l’expérimentation animale et les primates» se targue d’arguments prétendument scientifiques pour relayer des revendications ouvertement antispécistes exigeant une fin pure et simple du recours aux animaux dans la recherche en Europe.
Pour autant, ce rapport ne contient aucune proposition concrète pour remplacer le recours aux primates, que ce soit en recherche préclinique, en recherche fondamentale ou en recherche appliquée aux maladies. Pire, il contribue à banaliser des théories dangereuses, comme le recours aux méthodes in humano comme méthode alternative aux animaux.
Il ne mentionne d’ailleurs aucune avancée scientifique et médicale liée à l’utilisation des singes en recherche, les multiples traitements dans les maladies neurodégénératives, infectieuses ou des cancers.
Enfin, il passe sous silence les conséquences d’une interdiction de la recherche sur les primates en Europe, notamment la délocalisation dans d’autres régions du monde où la règlementation est moins exigeante.