🎙️ Entre protection et libération : Sociologie de la cause animale du XIXe siècle à nos jours

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Des associations traditionnelles de protection animale à l’émergence des collectifs prônant la libération animale, « Sociologie de la cause animale » dépeint le paysage complexe de la cause animale du XIXème siècle à nos jours. L’analyse sociologique met en lumière les liens variés entre ces mouvements et d’autres sphères de la société, tels que les politiques publiques, les marchés économiques, et le monde académique. Ce livre fournit les clés pour comprendre comment défendre les animaux peut façonner nos sociétés contemporaines. Nous avons interrogé ses auteurs :

Fabien Carrié

Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Fontainebleau – UPEC, il est spécialiste des relations entre idées et mobilisations.

Antoine Doré​

Chargé de recherche INRAe et sociologue, il étudie les transformations des rapports aux vivants dans les domaines de l’agriculture et de l’environnement.​

Jérôme Michalon

Chargé de recherche au CNRS et sociologue, il est spécialiste des relations humains-animaux.​

Quelles sont les origines historiques des mouvements de protection animale et en quoi le XXème siècle a-t-il redéfini la cause animale ?

L’idée d’une représentation politique des animaux se développe à partir du milieu du XVIIIe siècle. On assiste alors à une multiplication d’écrits et de discours qui viennent poser la question des relations aux animaux et préconisent la réforme, voire l’interdiction, d’un certain nombre de pratiques. Plusieurs facteurs se combinent et permettent d’expliquer cet intérêt nouveau pour la “question animale” : l’affaiblissement de l’autorité de la parole religieuse sur ce qui concerne le vivant et la nature, la montée en puissance de la parole savante. Intérêt qui peut aussi s’expliquer par la très forte accélération de l’urbanisation et de l’industrialisation des sociétés européennes dans cette période, accroissant la proximité entre les humains et les animaux domestiques, notamment dans les villes où ces animaux sont omniprésents, générant parfois des tensions assez fortes. Mais il faut attendre le début du XIXe siècle pour voir véritablement se constituer une mobilisation collective au nom des animaux et de la défense de leurs intérêts supposés, d’abord en Grande-Bretagne avant de se diffuser dans de nombreux pays. Ces premières organisations qui se constituent dans cette période défendent une conception spécifique de la cause : il s’agit de la protection animale, qui se focalise sur les actes de cruauté publique à l’encontre des animaux domestiques (les chevaux et les animaux de trait tout particulièrement) et qui entend substituer aux cruautés commises à l’encontre des bêtes la bonté et la douceur.

On a donc affaire à une cause très ancienne et évidemment celle-ci au cours du temps a beaucoup évolué. La première évolution notable s’observe dans les dernières décennies du XIXe siècle, avec l’émergence du mouvement antivivisectionniste, qui entend lutter contre la pratique de la vivisection, particulièrement répandue dans le domaine de la physiologie expérimentale (on ne parle pas encore d’expérimentation animale). Ici, à la question de la cruauté supposée de ces pratiques s’ajoute la question qui va devenir centrale par la suite au sein de la cause, celle des souffrances causées aux animaux. Par la suite, au début du XXe siècle, le mouvement va pour partie se scientifiser : il y a une volonté de la part d’une fraction des militants de la cause (qui viennent pour partie du monde universitaire) de faire de celle-ci un mouvement fondé sur la raison plutôt que sur les sentiments et la valorisation de la bonté, qui doit notamment accompagner les transformations contemporaines des modes d’exploitation des animaux (comme l’apparition des fermes industrielles, par exemple). La dernière évolution significative de la cause animale survient entre les années 1970 et 1980, avec l’émergence de ce que l’on appelle dans l’ouvrage l’animalisme, qui se traduit par un renouvellement des militants, des organisations et des modes d’action et l’émergence de nouveaux labels.

Comment cartographiez-vous les mouvements pro-animaux contemporains, en mettant en lumière la persistance des luttes sectorielles ?

Étienne Pariset, premier président de la SPA

La cause animale constitue une nébuleuse hétérogène composée d’acteurs aux propriétés sociales variées qui développent des conceptions morales et des répertoires d’action divers. Une manière courante de caractériser cette diversité consiste à distinguer des déclinaisons « welfaristes », des déclinaisons « abolitionnistes » . Le « welfarisme » désigne un segment de la lutte qui cherche à améliorer les conditions de vie des animaux en réformant les pratiques d’élevage alors que l’« abolitionnisme » caractérise l’opposition à toute forme d’exploitation des animaux. L’émergence et le succès de ces deux déclinaisons sont en partie le fruit d’une polarisation des débats théoriques qui animent les mouvements pro-animaux depuis les années 1970, et il nous semble important de les manier avec prudence. Nous préférons les notions de « conception sectorielle » et de « conception systémique » de la cause. Pour le dire simplement, là où les conceptions sectorielles se focalisent sur des pratiques et des catégories d’animaux spécifiques, les conceptions systémiques entendent, elles, remettre en question l’ensemble des formes d’exploitation des animaux par les humains. Ce couple de notions nous sert dans l’ouvrage à construire une cartographie chronologique des principales associations françaises de défense des animaux, que l’on a placées selon leur positionnement plus ou moins sectoriel ou systémique. Grâce à cette représentation visuelle, on constate que c’est principalement à partir des années 2000 que sont créées de nouvelles organisations relevant d’une conception plus systémique. Cela témoigne d’une importation assez tardive, dans le paysage associatif français, de la révolution symbolique des années 1970 qui a touché les pays anglosaxons (voir ci-dessous). Mais cette cartographie montre bien aussi que ces nouvelles associations ne se substituent pas aux organisations sectorielles. Certaines des plus anciennes se maintiennent, comme la SPA, créée en 1845. Et les créations d’associations sectorielles se poursuivent bien après la montée en puissance des associations systémiques, comme en témoigne l’exemple de la création de l’Association en faveur de l’abattage des animaux dans la dignité en 2015, ou encore, un an après, celle de l’association Animal Testing spécialisée dans la défense des animaux de laboratoire. Si les conceptions sectorielles perdurent, il faut savoir qu’elles sont maintenant un peu reléguées au second plan par des mobilisations systémiques qui entendent mettre à bas le système global d’exploitation des animaux.

Manifestion à Paris en 2008 - ©huguesdk

En quoi les mobilisations systémiques ont-elles pris de l’ampleur, et quelles en sont les implications ?

Les conceptions systémiques de la cause animale sont aussi anciennes que la cause elle-même, mais elles ont pendant longtemps été marginalisées, n’occupant qu’une position secondaire par rapport aux conceptions sectorielles, largement dominantes. Et donc, pendant longtemps ces conceptions ont été portées par des groupes minoritaires au sein de la cause, elles étaient secondaires et déconsidérées, voire même moquées dans certains cas. Cette situation va commencer à évoluer à partir des années 1970, avec le développement, d’abord aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, de l’animalisme qui se constitue pour partie sur le modèle des luttes anti-racistes et anti-sexistes.

On détaille dans le livre la façon dont l’animalisme a émergé et s’est développé dans cette période. C’est un mouvement de fond, qui résulte d’abord de l’arrivée au sein du mouvement de militants plus jeunes, issus des classes intermédiaires qui sont reléguées au sein des organisations de protection animale à des positions subalternes. De cette manière se constitue un creuset militant, dans lequel ces individus, marginalisés, vont inventer de nouvelles façons de parler et d’agir au nom des animaux, en privilégiant l’action directe et en liant de plus en plus systématiquement militantisme pour la cause animale et pratiques de consommation végétariennes, végétaliennes ou véganes. Ces innovations, dans les modes d’action comme dans les idées, vont par la suite être formalisées par de jeunes intellectuels, comme le philosophe australien Peter Singer, qui vont proposer des concepts comme “antispécisme” ou “droit de l’animal”. Et ces concepts vont être appropriés par ces militants et ces groupes d’apparition récente pour marquer leur rupture avec la protection animale, dont certaines grosses organisations, plus particulièrement aux Etats-Unis, sont alors fragilisées par des scandales, notamment financiers. Il va y avoir un véritable succès de ces nouvelles organisations et de ces labels, qui se diffusent dans les pays de culture anglophone, si bien qu’on peut parler de véritable révolution symbolique, puisque les conceptions systémiques de la cause animale, qui étaient jusque-là très secondaires et marginales, vont occuper à partir de là une position de premier plan.

Dans le cas de la France, ce tournant va advenir beaucoup plus tard, malgré des tentatives d’importation qui commencent à la fin des années 1980, depuis la région lyonnaise. Des militants, issus pour partie des milieux squats et anarchistes de la région, vont alors tenter d’implanter ces conceptions en France, à la fois en direction du mouvement anarchiste dont ils proviennent et de l’espace intellectuel. Ça marche difficilement, mais un peu plus tard, au cours des années 2000 et 2010, on assiste à une évolution des propriétés sociales des militants de la cause animale française : des gens plus jeunes commencent à s’investir, qui vont s’avérer beaucoup plus réceptifs aux conceptions animalistes anglophones. Il va y avoir une rencontre à ce moment-là entre les militants plus anciens qui avaient tenté d’importer ces références depuis la fin des années 1980 et ces nouveaux entrants : c’est vraiment à partir de là que l’animalisme et donc les conceptions systémiques commencent à s’ancrer en France, ce qui se traduit par une série d’initiatives nouvelles, comme l’organisation des Veggie pride- la manifestation annuelle pour la fierté d’être végétarien pour les animaux- ou encore la création de Stop Gavage, qui va donner par la suite naissance à l’association bien connue L214.

Militants et sympathisants constituent deux populations différentes.

Qui sont les militants et en quoi se différencient-ils des sympathisants ?

La cause animale a longtemps été réservée à une élite sociale ; notamment au moment de sa structuration à partir du XIXe siècle. Elle est alors l’apanage d’individus souvent âgés, disposant de ressources importantes et provenant des fractions les mieux dotées de la société : aristocrates, représentants de la bourgeoisie culturelle et économique, membres du clergé, artistes, savants, médecins, avocats… Jusqu’au milieu du XXe siècle, les militants issus des classes moyennes (voire des fractions hautes des classes populaires) sont souvent marginalisés. Ils se retrouvent à la périphérie des grandes associations : soit à l’intérieur, mais relégués aux activités éprouvantes, chronophages et invisibles telles que les tâches relevant de la gestion des refuges ; soit à l’extérieur, notamment dans les collectifs anti-chasse qui commencent à s’adonner à l’action directe, en sabotant notamment les parties de chasse. En ce qui concerne l’animalisme contemporain, les militants proviennent pour l’essentiel des classes intermédiaires, ils ont souvent entrepris des études supérieures. On a une cause par ailleurs très féminisée : ce n’est pas nouveau, puisque les femmes forment la base militante des organisations depuis le XIXe siècle, mais la tendance s’est renforcée. Militants et sympathisants constituent bien deux populations différentes, si on se réfère aux études existantes qui sondent la population générale, pour y repérer des personnes ou des groupes, sensibles aux valeurs de la cause : d’un côté, on a beaucoup de femmes issues des classes moyennes supérieures, des professions intellectuelles, des cadres ; de l’autre, on a des sympathisants qui sont presque autant d’hommes que de femmes, plutôt jeunes, avec une forte représentation toujours des milieux sociaux aisés. Mais ces études portant sur les sympathisants parmi la population générale doivent tout de même être considérées avec précaution : l’adhésion aux valeurs de la cause animale est de plus en plus consensuelle dans la société, mais elle peut se décliner tellement différemment, que les sondages qui montrent que les “français aiment les animaux”, ne veulent pas dire grand-chose. C’est pour ça qu’il faut que davantage de travaux sociologiques soient menés sur le sujet.

Les sondages qui montrent que les “français aiment
les animaux”, ne veulent pas dire grand-chose.

Pourquoi le véganisme devient un prérequis à l’engagement ?

C’est avec l’animalisme, donc depuis la séquence des années 1970, que les régimes alimentaires des militants sont devenus un objet de discussion incontournable. Avant cela, cause animale et végétarisme/véganisme existaient de manière indépendante : il y avait des militants pour la cause qui étaient végétariens, mais pas tous, et inversement, tous les végétariens n’étaient pas militants pour la cause animale. Mais avec l’émergence de l’éthique animale, et la montée en puissance des critiques systémiques, l’exigence de cohérence entre les raisons intellectuelles de se soucier des animaux et les meilleures manières de le faire devient très forte. La consommation de viande, et l’abattage qui va avec, deviennent l’exemple type de la pratique incohérente. Il devient alors de plus en plus évident pour les militants animalistes que s’engager pour les animaux passe d’abord par le fait de ne pas les consommer. Par ailleurs, la viande constitue une ligne de front idéale pour la critique systémique : tout le monde n’est pas chasseur ou vivisectionniste, mais manger de la viande et des produits animaux, cela concerne presque tout le monde. C’est une pratique à laquelle tout un chacun a été acculturé depuis l’enfance, elle “fait système” en quelque sorte. Donc cibler la viande pour les militants est une façon de faire monter la cause à un plus haut degré de généralité, d’interpeller le plus grand nombre de personnes possible sur leurs pratiques en vue de les remettre en cause. Au-delà du combat en lui-même, le végétarisme et le véganisme jouent le rôle de ciment identitaire pour les militants, qui trouvent au sein du mouvement un espace où ils peuvent partager leurs expériences de “déviance” vis-à-vis de la norme alimentaire par exemple, et se sentir unis par cette pratique de réforme de soi, qui est pour le coup, un nouveau mode d’action de la cause animale, au point même que certains auteurs suggèrent de considérer que le véganisme en soi, indépendamment du fait de faire partie d’une association, est une façon de s’engager pour les animaux.

Au-delà du combat en lui-même, le végétarisme et le véganisme
jouent le rôle de ciment identitaire pour les militants.

Comment analysez-vous l’impact de la cause animale sur les politiques publiques, les marchés et les mondes académiques ?

L’un des messages de notre ouvrage est de dire que la cause animale est déjà bien installée dans notre société : elle s’est institutionnalisée depuis plusieurs décennies maintenant. En ce qui concerne les politiques publiques, on voit que sur certains sujets elles se sont co-construites avec les associations de la cause animale. La gestion de l’errance animale est un bon exemple : c’est une prérogative des pouvoirs publics, qui ont souhaité à un moment donné réguler la présence des animaux “sans maîtres” (les chiens en l’occurrence), en débarrasser l’espace urbain au moyen de services de fourrière ou par des systèmes de primes à l’abattage. A la fin du XIXème siècle, les associations se sont proposées d’assumer en grande partie cette prérogative, à travers la création des refuges destinés à gérer autrement le sort des animaux errants, en les proposant à l’adoption. Ce partenariat fonctionne tellement bien que certaines associations se plaignent d’être confondues avec un service public (“la déchetterie pour animaux”). C’est dire l’impact de la cause animale sur nos représentations ordinaires de ce qu’est un chien, de ce que sont les relations légitimes à entretenir avec lui. Mais au-delà de cet exemple historique, nous avons aussi noté des inflexions plus récentes : suite aux vidéos de L214, les pouvoirs publics ont été amenés à réfléchir davantage au contrôle des activités d’abattage. Pour autant, les pouvoirs publics ne sont pas les interlocuteurs exclusifs des associations : certaines ont engagé des partenariats avec des acteurs du monde marchand. Constatant la difficulté à faire évoluer les normes de bien-être animal par la voie législative, certaines associations ont ainsi proposé à des groupes de grande distribution de créer des labels “bien-être animal” pour leurs produits. Les marchés ont en effet bien compris qu’il y avait un intérêt à se positionner sur un segment “éthique” et que les associations pouvaient être des alliées. Le marché des produits vegan, ou celui de la viande cellulaire, en sont un bon exemple, sans pour autant que tous les militants ne les voient d’un très bon œil. La critique du modèle agro-industriel est encore très forte chez les animalistes qui le perçoivent comme la matrice principale de l’exploitation animale. Cette critique s’élabore d’ailleurs en partie dans les milieux universitaires proches de la cause animale. Cela permet d’évoquer les liens avec le monde académique, qui est très fort notamment depuis les années 1970, période où l’éthique animale se développe comme un sous-domaine de la philosophie morale, tout en fournissant aux militants une nouvelle conceptualisation de leur engagement. C’est la période où se développent également les Animal Studies, communauté de recherche pluridisciplinaire, qui vise à documenter la condition animale tout en espérant l’améliorer. On voit donc que la cause animale, comme d’autres, se discute dans les arènes académiques, et qu’en retour ces arènes fournissent une forme de légitimité à la cause. Cette relation circulaire n’est pas sans générer des frictions, des tensions à l’intérieur du monde académique : certains, en France notamment, reprochent une influence trop forte des idées animalistes sur la production de savoirs. On voit ainsi émerger une polarisation assez forte entre des pro et des anti “cause animale”, qui ont pour point commun de faire exister la question animale dans le débat public, comme une question avant tout morale, éthique et politique.

On voit émerger une polarisation assez forte entre des pro et des anti “cause animale”, qui ont pour point commun de faire exister la question animale dans le débat public, comme une question avant tout morale, éthique et politique.

Avez-vous observé un dialogue entre les activistes de la cause animale et ceux qui exploitent/utilisent les animaux ?

La démarche de nombreuses associations œuvrant pour la protection des animaux est fondée sur la recherche d’un dialogue qui se veut ouvert et constructif avec les personnes et organisations qui utilisent les animaux. On observe cela dans une diversité de secteurs d’activités que les militants cherchent à réformer pour y améliorer la manière dont les animaux y sont traités. L’OABA (Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs) – une des plus anciennes associations françaises de protection des animaux de ferme – accompagne par exemple depuis longtemps les industries agroalimentaires pour les faire évoluer vers des pratiques plus respectueuses des animaux. Elle réalise notamment des audits « protection animale » à la demande des abattoirs et n’hésite pas à afficher son partenariat avec un établissement comme l’abattoir de Kermené, filiale du Mouvement E.Leclerc, l’un des sites d’abattage et de transformation les plus importants d’Europe. Dans le domaine de la recherche animale, on peut penser par exemple au GRAAL. Cette association travaille en lien étroit avec les institutions qui pratiquent l’expérimentation animale. Elle promeut et organise notamment l’adoption des animaux de laboratoire pour leur éviter l’euthanasie.

Quelles évolutions percevez-vous des mouvements animalistes ?

Dans la perspective relationnelle qui est la nôtre, on ne peut aborder les évolutions des mouvements indépendamment du positionnement d’autres acteurs, à commencer par l’Etat. On peut évoquer le rôle joué par ce dernier dans les dynamiques de criminalisation du mouvement. En effet, depuis les 20 dernières années, plusieurs associations ont été assimilées à des entreprises terroristes et ciblées à ce titre par des législations répressives comme le Patriot Act aux Etats-Unis. Plus récemment en France, la mise en place de la cellule Demeter par le Ministère de l’Intérieur est symptomatique de cette dynamique de criminalisation, qui risque de fragiliser les actions de certaines associations. Une autre évolution notable, c’est la “politisation” du mouvement. Depuis plusieurs années, les associations essaient de montrer (par le biais de sondages notamment) que la question animale est une thématique importante pour les français, et donc payante électoralement parlant. Et on constate que de plus en plus de formations politiques abordent maintenant la question et prennent position. La création du Parti Animaliste Français n’est sans doute pas étrangère à ce succès politique de la cause animale. Elle peut en tout cas être connectée à une dynamique plus globale puisque depuis le début des années 2000, une vingtaine de partis politiques dédiés aux animaux ont été créés à travers le monde, souvent par des militants.

Une évolution notable est la “politisation” du mouvement.

Quelles sont les principales conclusions auxquelles vous arrivez dans votre livre ?

Deux éléments nous semblent particulièrement importants. D’abord, à l’encontre des paniques morales récentes qui s’inquiètent de l’influence de la cause animale sur notre société et nos relations aux animaux, nous avons essayé de montrer dans cet ouvrage que ce mouvement social ancien, pluriséculaire, avait depuis longtemps et continuait encore aujourd’hui à définir et à redéfinir ces relations. Ensuite, que la cause animale dès lors qu’on l’envisage dans une perspective de sociologie et de sociologie politique, constitue une entreprise de représentation politique singulière, puisque contrairement aux activités de représentation politique portant sur des groupes humains, les représentés ne peuvent pas contester l’activité de représentation. Définir les mouvements pro-animaux de cette manière entraîne plusieurs conséquences. Cela implique notamment d’être particulièrement attentif aux relations entre la cause animale et toute une série de productions intellectuelles et scientifiques, qui vont contribuer à légitimer ou au contraire à délégitimer les prétentions des militants à parler et à agir au nom des animaux. Cela suppose aussi de comparer cette cause à d’autres types de mobilisation, à la fois pour en dégager les spécificités et pour souligner ces proximités et similarités avec d’autres mouvements sociaux. C’est au fond l’un des enjeux centraux de cet ouvrage : montrer l’intérêt d’une approche sociologique sur cette cause, qui a été jusque-là surtout étudiée par des philosophes et des juristes.

À retenir

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