Créée en 2017, Ethosph’R est une association qui a pour objectif de réhabiliter les animaux de laboratoire en s’appuyant sur l’éthologie. Odile Petit, sa présidente, nous raconte l’histoire de l’association ainsi que ses particularités.
Ce qu'il faut retenir
- Ethosph'R est une association qui s'appuie sur l'éthologie pour la réhabilitation d'animaux de laboratoires ;
- L'association a réussi quelques resocialisations surprenantes en associant des primates d'espèces différentes
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Odile Petit : Je suis éthologue et directrice de recherche au CNRS, spécialiste des primates et de leurs organisations sociales. J’ai aussi été présidente de la Société Française pour l’Etude du Comportement Animal (Sfeca), regroupant les éthologues en France. Je me suis engagée dans la réhabilitation quand Marie-Françoise Lheureux, à la tête du GRAAL, a sollicité la Sfeca pour évaluer scientifiquement la réhabilitation d’animaux de laboratoire. Elle avait besoin de cette expertise pour recevoir le soutien de l’Académie de médecine et de l’Académie vétérinaire dans sa démarche. L’idée étant surtout de s’assurer que les conditions de vie des animaux après leur réhabilitation seraient bonnes. En tant qu’éthologues, nous sommes en effet les mieux placés pour réaliser le suivi des animaux, pour faire le lien entre la société civile, les défenseurs des animaux et les chercheurs. C’est donc ainsi que je suis « rentrée » dans la réhabilitation, surtout que cela correspondait à mes valeurs éthiques par rapport à l’expérimentation animale.
Pouvez-vous présenter Ethosph’R ?
O.P.: Suite à ces collaborations avec le GRAAL, nous avons décidé de créer une association distincte, Ethosph’R, qui est plus axée sur la réhabilitation scientifique que sur la protection animale à proprement parler. L’association a été fondée par des femmes, majoritairement des éthologues initialement spécialisées en primates et en équins. Notre crédo c’est la promotion du bien-être au travers 3 notions : réhabilitation, resocialisation et sensibilisation.
Comment vous occupez-vous de la réhabilitation ?
O.P. : Avant la réhabilitation, nous allons observer le comportement de l’animal : s’il se rapproche de ses congénères ou s’il reste isolé par exemple, afin de déterminer son « potentiel ». Et une fois sorti, nous allons le remettre en contact avec ses congénères et réfléchir aux meilleures associations possibles. Nous rédigeons ensuite un protocole, formons les accueillants et surtout des éthologues suivent l’animal pour s’assurer qu’il s’adapte bien et qu’il vivra dans des conditions satisfaisantes après sa réhabilitation.
Pour les animaux domestiques, notre manière de procéder est assez originale : nous collaborons avec botanic© , une enseigne de jardineries et d’animaleries, qui souhaite arrêter son activité d’animalerie classique pour, à terme proposer, entre autres, des animaux réhabilités ou provenant de la SPA. Quand les animaux sortent (majoritairement issus des recherches en agroécologie pour le moment), ils sont réceptionnés dans les magasins partenaires dans des enclos construits spécialement pour cet accueil temporaire.. Les adoptants sont formés et signent leur certificat d’engagement une semaine minimum avant de venir récupérer leur animal en magasin où nos bénévoles les accueillent et répondent aux éventuelles questions. Ce système nous permet de fonctionner partout en France car nous n’avons pas besoin de locaux pour héberger les animaux. Nous gérons vraiment tout le processus d’adoption et les magasins nous servent uniquement pour la logistique. Une fois l’animal adopté, nous prenons des nouvelles régulièrement et prodiguons des conseils. De plus, nous avons créé des guides pour les espèces que nous faisons adopter (rongeurs, lapins, diamants mandarins, primates).
Quels sont les obstacles et difficultés liés à la réhabilitation ?
O.P.: L’aspect administratif peut être une source de tracas : des animaux sont parfois prêts à être adoptés alors que les documents nécessaires n’ont pas encore été signés. De même, certains adoptants décident au dernier moment de ne pas adopter l’animal, causant des déplacements inutiles pour les animaux. Le manque de locaux est également une limite.
Peu d’équipes de recherche le savent mais quand un animal est isolé en laboratoire (quand la recherche le nécessite), la réhabilitation peut être compliquée sans resocialisation au préalable. A Ethosph’R, nous avons des protocoles éprouvés pour effectuer les resocialisations, nous savons comment faire et sommes là pour aider les équipes qui font appel à nous.
Quelles sont vos autres activités ?
O.P. : Nous avons également une partie « observer les animaux pour comprendre » afin de sensibiliser les personnels de laboratoire, le grand public et le jeune public.
Ce sont les citoyens de demain. L’observation permet de les sensibiliser et les éduquer au bien-être animal. Nous animons des ateliers au contact d’animaux de ferme, d’animaux domestiques, mais aussi parfois au contact de primates ou des rongeurs, toujours en abordant le thème de l’expérimentation animale pour que les participants comprennent que le bien-être est bien pris en compte dans ces conditions. Nous essayons toujours d’adapter l’espèce au public.
Si c'est pour sortir un animal pour qu'il ait une vie
moins bonne qu’au labo, nous ne voyons pas l'intérêt.
Que pensez-vous de l’expérimentation animale ?
O.P. : Je suis moi-même expérimentatrice et je pense que nous sommes actuellement très loin de pouvoir s’en passer. Néanmoins j’estime qu’il faut raffiner les pratiques, mais il faut aussi donner les outils, former le personnel pour permettre ce raffinement. Nous devons aller plus loin que le simple cadre législatif et être proactifs en ce qui concerne l’amélioration des pratiques. Le statut de membre d’association me permet plus de libertés de conseil dans ce cas-là.
Si des collègues ont des pratiques discutables ou mal adaptées, je n’hésite pas à leur en parler.
Quelques réhabilitations surprenantes
Pour les primates, nous avons plusieurs réussites inter-espèces avec des provenances diverses à notre actif : un mâle macaque rhésus sorti de laboratoire qui s’est lié à une femelle babouin qui sortait d’un cirque (nous travaillons également à la réhabilitation de ces animaux avec le Jane Goodall Institute France). De même, nous avons maintenant un mâle macaque à longue queue et une femelle macaque rhésus qui vivent ensemble et cette paire est très équilibrée socialement.
Combien y a-t-il de salariés et bénévoles ?
O.P. : Entre 45 et 50 bénévoles constituent la force de l’association sur le territoire français, mais notre organisation garde malgré tout son noyau en Alsace. Récemment, nous avons pu embaucher notre première salariée. Elle se consacre essentiellement aux questions de réhabilitation et de sensibilisation.
En quoi l’éthologie est-elle importante pour la réhabilitation ?
O.P. : Pour savoir si un animal est dans un environnement adapté, il faut pouvoir être capable de l’observer et décrypter ses comportements sans projeter notre point de vue humain et faire de l’anthropocentrisme. Si on pense qu’un animal va bien ou non selon des critères pour humains, on fait souvent fausse route. Comprendre un animal permet de bien s’en occuper. C’est une chose qui est doit être comprise par le grand public mais aussi encore par certains personnels de laboratoire.
Quels sont vos projets à venir ?
O.P. : Nous trouvons que faire des centaines de kilomètres pour faire adopter des souris de laboratoire est absurde du point de vue du bien-être animal. Nous avons en projet d’en faire réhabiliter dans des classes d’école, qui sont bien évidemment réparties sur tout le territoire. Le but serait multiple : initier les enfants à l’étude du comportement animal, à les responsabiliser, à leur apprendre à fabriquer des enrichissements, tout en donnant une seconde vie à ces animaux. Les magasins botanic© sont déjà partants pour fournir le matériel et une enquête a déjà été lancée auprès des écoles, lesquelles sont pour la majorité très intéressées. Ce serait une voie pour simplifier la réhabilitation des animaux tout en respectant notre mission de sensibilisation.
Une nouvelle vie pour l’ancien zoo
de l’Orangerie de Strasbourg
Le 2 juillet 2024, un nouveau projet a été annoncé avec l’ouverture début 2025 d’un centre d’initiation à l’éthologie avec des animaux réhabilités de la recherche au sein du parc de l’Orangerie à Strasbourg. Ce centre, qui fait partie d’un projet plus large qui regroupe plusieurs associations, portera le nom de MICADO pour Maison d’Initiation au Comportement Animal de l’Orangerie.