đŸŽ™ïž Prise en charge et traitement de la douleur : enjeux et avancĂ©es thĂ©rapeutiques

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Le traitement de la douleur reprĂ©sente un dĂ©fi mĂ©dical majeur en raison de sa nature multifactorielle et des rĂ©ponses variables des individus aux diffĂ©rents mĂ©dicaments utilisĂ©s pour les soulager. Les Ă©tudes prĂ©cliniques sont une Ă©tape dĂ©terminante dans la recherche et le dĂ©veloppement (R&D) de nouveaux analgĂ©siques plus efficaces et mieux tolĂ©rĂ©s. Nous avons rencontrĂ© François Caussade, PrĂ©sident d’ANS Biotech, PME française spĂ©cialisĂ©e dans la recherche en pharmacologie prĂ©clinique de la douleur. Il nous Ă©claire sur les enjeux de la R&D de nouveaux antalgiques.

Ce qu'il faut retenir

Pouvez-vous prĂ©senter ANS Biotech et votre fonction dans l’entreprise ?

François CAUSSADE : Je suis PrĂ©sident d’ANS Biotech, une entreprise d’une vingtaine de personnes, crĂ©Ă©e en 2006 et basĂ©e Ă  Riom en rĂ©gion Auvergne RhĂŽne Alpes. Nous accompagnons nos clients (laboratoires pharmaceutiques, sociĂ©tĂ©s de biotechnologie) dans leurs projets de dĂ©couverte de nouveaux analgĂ©siques en leur proposant de caractĂ©riser les effets antalgiques de leurs produits dans une large gamme de services in vivo cliniquement pertinents, exclusivement focalisĂ©s sur l’étude de la douleur. Nous contribuons ainsi Ă  accĂ©lĂ©rer le passage des candidats mĂ©dicaments antalgiques de nos clients, du stade de la recherche prĂ©clinique vers les premiĂšres Ă©tapes de la recherche clinique.

Quel est l’Ă©tat de l’art actuel de la recherche sur la prise en charge et le traitement de la douleur ?

F. C. : Pour traiter la douleur, nous disposons d’un arsenal de mĂ©dicaments limitĂ© avec des molĂ©cules comme les morphiniques, les gabapentinoĂŻdes, les anti-inflammatoires non stĂ©roĂŻdiens ou encore le paracĂ©tamol. En dĂ©pit de l’émergence de nouvelles pistes thĂ©rapeutiques prometteuses (cannabis thĂ©rapeutique), un constat s’impose aujourd’hui : il n’y a pas eu d’innovation majeure au cours des derniĂšres dĂ©cennies pour traiter la douleur.

Ainsi, bien que les mĂ©dicaments actuellement disponibles couvrent un certain nombre de situations douloureuses, il n’en demeure pas moins vrai que des besoins mĂ©dicaux sont encore peu, voire pas satisfaits. C’est le cas par exemple de la fibromyalgie ou du traitement des douleurs neuropathiques pour lequel un produit utilisĂ© en clinique (prĂ©gabaline) prĂ©sente une marge thĂ©rapeutique Ă©troite, car la dose toxique de ce mĂ©dicament est proche de la dose pour laquelle il est Ă©galement efficace.

De plus, la crise des opiacĂ©s ouvre aujourd’hui de rĂ©elles perspectives de R&D de nouveaux antalgiques non opioĂŻdes ne prĂ©sentant pas les effets secondaires (addiction, dĂ©pression respiratoire, nausĂ©es, sĂ©dation, 
) des mĂ©dicaments existants. Pour toutes ces raisons, l’industrie pharmaceutique cherche Ă  enrichir l’arsenal thĂ©rapeutique de mĂ©dicaments Ă  visĂ©e antalgique pour mieux rĂ©pondre aux problĂ©matiques cliniques et de santĂ© publique relatives Ă  la prise en charge de la douleur.

Il n’y a pas eu d’innovation majeure au cours des derniĂšres dĂ©cennies pour traiter la douleur.

Vous dites qu’il est plus judicieux de parler des douleurs plutît que de la douleur. Quelles sont-elles ?​

F. C. : La douleur se manifeste par un signal d’alerte qui part de la zone du corps qui subit une lĂ©sion ou un dysfonctionnement et est envoyĂ© vers le cerveau qui analyse le message transmis. Il existe de nombreux types de douleurs en fonction de l’organe ou de la partie du corps touchĂ©e, de la nature de la douleur ou de son mĂ©canisme d’action. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on distingue deux grands types de douleurs.

La douleur aiguĂ«, joue un rĂŽle d’alarme pour notre organisme ce qui lui permet de rĂ©agir et de se protĂ©ger face Ă  un stimulus mĂ©canique, chimique ou thermique. Elle est due Ă  une lĂ©sion ou une inflammation des tissus (muscles, tendons, articulations, 
) provoquĂ©e par exemple par une brĂ»lure, une coupure, une piqĂ»re ou encore un traumatisme. Elle est de courte durĂ©e et disparaĂźt lorsque l’origine de la douleur disparaĂźt.

Lorsque qu’une douleur persiste au-delĂ  de la durĂ©e attendue pour sa disparition – gĂ©nĂ©ralement plus de trois mois – elle perd sa signification de signal d’alarme. Elle peut alors Ă©voluer en une maladie chronique caractĂ©risĂ©e par des symptĂŽmes associĂ©s aux douleurs (troubles du sommeil, troubles anxieux et dĂ©pressifs, altĂ©ration de la qualitĂ© de vie). Les douleurs chroniques sont difficiles Ă  traiter et ont un retentissement important sur le quotidien des patients. Elles sont de plusieurs ordres et sont classifiĂ©es selon les mĂ©canismes physiopathologiques qu’elles mettent en jeu.

Par exemple, les douleurs inflammatoires sont associĂ©es Ă  des phĂ©nomĂšnes d’inflammation qui perdurent anormalement comme dans le cas de douleurs articulaires. Les douleursneuropathiques sont liĂ©es Ă  des atteintes du systĂšme nerveux central ou pĂ©riphĂ©rique (lĂ©sions de nerfs, blessure…), de la moelle Ă©piniĂšre, liĂ©es aux amputations ou Ă  un accident vasculaire cĂ©rĂ©bral, etc.

Quels sont les modÚles animaux utilisés dans la recherche préclinique sur la douleur et comment sont-ils adaptés aux différentes typologies de douleurs ?

F. C. : Les Ă©tudes prĂ©cliniques sont principalement rĂ©alisĂ©es chez le rongeur (rat, souris). Les douleurs Ă©tant trĂšs diffĂ©rentes les unes des autres, il est crucial que chaque type de douleur puisse ĂȘtre Ă©tudiĂ© dans plusieurs modĂšles in vivo pertinents. Chez ANS Biotech, notre prĂ©occupation est de travailler sur des modĂšles animaux dans une dĂ©marche Ă©thique permanente. Pour cela, nous partons toujours de la rĂ©alitĂ© clinique en vue de mimer au mieux chez l’animal les manifestations douloureuses rencontrĂ©es chez l’ĂȘtre humain. Plus le modĂšle dĂ©veloppĂ© chez l’animal est capable de reproduire les Ă©vĂ©nements douloureux observĂ©s en clinique humaine, plus il est pertinent pour Ă©valuer les effets analgĂ©siques de candidats mĂ©dicaments.

Par exemple, nous avons un modĂšle chez le rat de neuropathie chimio-induite par l’oxaliplatine qui est un mĂ©dicament anti-cancĂ©reux utilisĂ© en clinique (cancer colorectal). Ce produit provoque une hypersensibilitĂ© au froid chez les patients. Notre modĂšle in vivo reproduit les mĂȘmes rĂ©actions d’hypersensibilitĂ© au froid, ce qui le rend trĂšs pertinent pour Ă©tudier les effets de candidats mĂ©dicaments dans le traitement de ces douleurs.

Plus le modĂšle dĂ©veloppĂ© chez l’animal est capable de reproduire les Ă©vĂ©nements douloureux observĂ©s en clinique humaine, plus il est pertinent pour Ă©valuer les effets analgĂ©siques de candidats mĂ©dicaments.

Pourquoi les Ă©tudes sur la douleur se font sans administration d’antidouleur Ă  l’animal ?

F. C. : Il s’agit d’une exception dans l’utilisation des modĂšles animaux pour la recherche, mais, en effet, il n’y a pas de recours Ă  un prĂ©traitement des animaux par des analgĂ©siques lorsqu’on travaille sur la douleur. Notre objectif est de dĂ©montrer les potentiels effets pharmacologiques d’un nouveau produit. Traiter un animal au prĂ©alable avec un antidouleur risque d’inhiber les voies de la douleur que l’on cherche Ă  Ă©tudier.

Nous risquons aussi de crĂ©er des interactions mĂ©dicamenteuses entre le produit utilisĂ© pour assurer une couverture antalgique Ă  l’animal et le nouveau produit Ă  Ă©valuer. In fine, nous ne pouvons pas interprĂ©ter nos rĂ©sultats, car nous ne savons pas quel traitement est responsable des donnĂ©es. Cela reviendrait Ă  utiliser des animaux Ă  trĂšs mauvais escient. Ceci Ă©tant dit, il existe des solutions pour rĂ©duire localement la douleur dans certaines situations. À titre d’exemple, il est possible d’utiliser des anesthĂ©siques locaux pour pratiquer certains actes chirurgicaux et ainsi raffiner toujours plus les conditions expĂ©rimentales.

Comment sont alors appliquĂ©es les rĂšgles des 3R dans vos protocoles afin d’éviter que l’animal ne souffre trop ?

F. C. : Sur la rĂ©duction, nous savons que certains de nos modĂšles ont une excellente reproductibilitĂ© d’un animal Ă  l’autre. Dans le cas des douleurs viscĂ©rales, nous proposons par exemple un modĂšle mimant le syndrome du cĂŽlon irritable dans lequel nous incluons 8 animaux par groupe expĂ©rimental au lieu de 10 habituellement utilisĂ©s dans la plupart des autres modĂšles. Nous avons Ă©galement mis au point une plateforme de criblage appelĂ©e ALGOGramℱ.
Cette plateforme regroupe 10 modĂšles de douleur rĂ©partis dans 5 aires thĂ©rapeutiques diffĂ©rentes. Pour chaque modĂšle et test de douleur, le nombre d’animaux est rĂ©duit Ă  un minimum de 4 pour un total de 40 par Ă©tude avec des rĂ©sultats obtenus en 3 semaines vs 300 animaux et plusieurs mois de travail avec des mĂ©thodes plus conventionnelles. ALGOGramTM est une aide Ă  la dĂ©cision indiquant oĂč un signal d’activitĂ© analgĂ©sique est obtenu avec le produit testĂ© et sur quel type de douleur. Cela rĂ©pond parfaitement Ă  l’enjeu de rĂ©duire le nombre d’animaux utilisĂ©s Ă  des fins scientifiques.

Par ailleurs, nous menons une veille active sur le remplacement. Dans le domaine de la douleur, il n’existe pas, Ă  ce jour, de rĂ©ponse adaptĂ©e pour se substituer Ă  l’animal de laboratoire. NĂ©anmoins, il est important de s’assurer que les produits ont prĂ©alablement Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s dans des tests in vitro afin de dĂ©montrer qu’ils interagissent bien avec les cibles d’intĂ©rĂȘt impliquĂ©es dans la transmission du message douloureux.
Enfin, sur le raffinement, il s’agit d’une prĂ©occupation quotidienne de nos Ă©quipes et de notre Structure du bien-ĂȘtre animal. D’ores et dĂ©jĂ , diffĂ©rentes solutions sont appliquĂ©es au sein de notre animalerie autour de l’hĂ©bergement (rĂ©duction drastique des bruits environnant, contrĂŽle de l’intensitĂ© lumineuse, 
), l’enrichissement (amĂ©lioration continue du bien-ĂȘtre animal) et la mise en place de techniques peu invasives.

Quelles sont les limites des modĂšles animaux actuels dans l’étude de la douleur ?

F. C. : Faire de la recherche prĂ©clinique sur la douleur en faisant appel Ă  l’expĂ©rimentation animale n’a de sens que si on travaille sur des modĂšles les plus prĂ©dictifs possibles de la rĂ©alitĂ© clinique. Or, la quasi-totalitĂ© des modĂšles in vivo utilisĂ©s actuellement est basĂ©e sur de la douleur Ă©voquĂ©e. Autrement dit, nous induisons une situation douloureuse chez l’animal en le stimulant (stimulus mĂ©canique ou thermique) afin d’obtenir une rĂ©ponse pharmacologique. Dans la rĂ©alitĂ© clinique, le patient n’est pas soumis Ă  un stimulus extĂ©rieur, il est naturellement douloureux.
Un grand enjeu est donc d’ĂȘtre en mesure d’étudier et de quantifier ce qu’on appelle la douleur spontanĂ©e chez l’animal que l’on va objectiver en l’absence de toute stimulation externe. Comme l’animal ne verbalise pas, il nous faut identifier des modifications comportementales qui traduisent une manifestation douloureuse de sa part. Les recherches sont en cours pour atteindre cet objectif.

Comme l’animal ne verbalise pas, il nous faut identifier des modifications comportementales qui traduisent une manifestation douloureuse de sa part.

Est-il possible de s’affranchir de cette Ă©tape prĂ©clinique chez l’animal ? Quels sont les risques rencontrĂ©s par les entreprises qui ont essayĂ© de s’en passer ?

F. C. : Les Ă©tudes prĂ©cliniques chez l’animal sont incontournables pour obtenir des informations fondamentales sur la pharmacologie, la pharmacocinĂ©tique, le mĂ©tabolisme et la toxicologie du produit Ă©tudiĂ©. Ces informations sont indispensables, notamment pour prĂ©parer les premiers essais cliniques et choisir les doses qui seront administrĂ©es Ă  l’humain.

Dans le passĂ©, un de nos clients travaillant sur un produit potentiellement actif dans le traitement du syndrome du cĂŽlon irritable a dĂ©cidĂ© de shunter une Ă©tude prĂ©clinique in vivo que nous lui proposions pour aller directement chez l’humain et gagner du temps. En dĂ©pit de nos recommandations, il a rĂ©alisĂ© un essai clinique qui s’est conclu par un Ă©chec. Ce client est revenu vers nous pour entreprendre l’étude prĂ©clinique prĂ©cĂ©demment proposĂ©e et obtenir les informations manquantes Ă  la conduite de son essai clinique.

En conclusion, l’utilisation des animaux Ă  des fins scientifiques reste nĂ©cessaire dans la recherche de futurs mĂ©dicaments, mais son recours doit ĂȘtre bien contrĂŽlĂ© en s’appuyant sur des conditions expĂ©rimentales rĂ©flĂ©chies, argumentĂ©es, validĂ©es et Ă©thiques.

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