đŸŽ™ïž Ce que l’oiseau chanteur nous apprend de notre cerveau

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Les oiseaux chanteurs, comme les passereaux, apprennent Ă  chanter en imitant leur pĂšre ou leur tuteur, tel un bĂ©bĂ© babille pour reproduire le son Ă©mis par ses parents. Au cƓur de ces capacitĂ©s d’apprentissage : les ganglions de la base, une zone du cerveau prĂ©sente chez l’oiseau et les mammifĂšres. Au sein l’Institut des maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives (CNRS/UniversitĂ© de Bordeaux), Arthur Leblois – chercheur au CNRS -vise Ă  mieux comprendre le rĂŽle de ces structures cĂ©rĂ©brales dans l’apprentissage moteur.

Ce qu'il faut retenir

Arthur Leblois ©Arnaud Rodriguez

Pouvez-vous nous prĂ©senter l’objet de vos recherches en neurosciences et le modĂšle animal utilisĂ© dans vos travaux ?

Arthur Leblois : Physicien de formation, je suis entrĂ© dans les neurosciences – les sciences qui Ă©tudient le systĂšme nerveux – par la porte de la modĂ©lisation de rĂ©seaux de neurones. Cela m’a amenĂ© Ă  m’intĂ©resser aux ganglions de la base, des noyaux cĂ©rĂ©braux profonds situĂ©s sous le cortex et qui lui sont bien plus anciens dans l’évolution de notre cerveau. En communiquant avec le cortex, cette zone profonde du cerveau est notamment impliquĂ©e dans le contrĂŽle et l’apprentissage moteur. Par exemple, la maladie de Parkinson est essentiellement due Ă  un manque de dopamine au sein des ganglions de la base. À travers mes recherches, je m’intĂ©resse Ă  mieux comprendre le rĂŽle de cette zone cĂ©rĂ©brale lors de l’apprentissage moteur chez un ĂȘtre sain. Je travaille en particulier sur l’apprentissage du chant chez l’oiseau chanteur, c’est-Ă -dire les passereaux (merle, canari, rouge gorge, mĂ©sange, diamant mandarin, etc.) qui ont un chant complexe et Ă©volutif tout au long de leur vie.

Quel est le lien entre les fonctions motrices et le chant ?

AL : Nous avons tendance Ă  oublier que lorsque nous parlons, nous contrĂŽlons en permanence les muscles des cordes vocales et ceux liĂ©es Ă  la respiration afin de produire des sons. Ce contrĂŽle est inconscient chez l’adulte. La parole ou le chant sont des apprentissages procĂ©duraux comme faire du vĂ©lo, conduire, ou encore faire ses lacets. Cela signifie qu’au dĂ©but, nous dĂ©cortiquons les Ă©tapes du mouvement une par une, et Ă  force de rĂ©pĂ©tition, l’acquisition de ces mouvements devient automatique. C’est la mĂȘme chose pour le chant chez l’oiseau. Au dĂ©part, l’oisillon apprend Ă  contracter ses muscles jusqu’à atteindre une coordination motrice trĂšs rapide et trĂšs prĂ©cise lui permettant de produire les sons dĂ©sirĂ©s.

Le chant de l'oiseau chanteur n'est pas un comportement inné, mais acquis.

Pourquoi l’oiseau chanteur est-il particuliĂšrement intĂ©ressant en neurosciences ?

AL : Le chant de l’oiseau chanteur n’est donc pas un comportement innĂ©, mais acquis. Les oisillons apprennent par imitation d’un tuteur, souvent le pĂšre. Si bien qu’un petit qui n’est pas exposĂ© aux vocalises de son espĂšce ne saura jamais chanter. Pour apprendre, il Ă©coute et reproduit les sons entendus par une succession d’essais-erreurs. Cet apprentissage nĂ©cessite l’intĂ©gritĂ© du circuit des ganglions de la base du cerveau de l’oiseau. Et justement, le fait d’avoir un circuit dans son cerveau uniquement dĂ©diĂ© au chant, le rend particuliĂšrement intĂ©ressant. Il n’y a pas d’interfĂ©rence avec d’autres mĂ©canismes cĂ©rĂ©braux et il nous aide ainsi Ă  mieux comprendre le fonctionnement des rĂ©gions concernĂ©es du cerveau dans l’apprentissage moteur. 

Par ailleurs, des Ă©tudes passĂ©es ont notamment identifiĂ© de nombreuses homologies et similaritĂ©s dans l’organisation fonctionnelle du cerveau de l’oiseau et celui des mammifĂšres dans les tĂąches d’apprentissage. Par exemple, les ganglions de la base servent Ă©galement Ă  l’apprentissage de la parole chez l’humain. Dans mes recherches, mon objectif est d’étudier ce modĂšle afin de mieux comprendre le rĂŽle des ganglions de la base dans l’apprentissage du chant en particulier, et l’apprentissage moteur en gĂ©nĂ©ral.

Qu’ont-dĂ©montrĂ© vos Ă©tudes sur l’apprentissage du chant de ces oiseaux ?

AL : Au laboratoire, nous rĂ©alisons des modĂšles informatiques reproduisant la dynamique des rĂ©seaux de neurones. L’objectif est d’étudier le lien entre l’activitĂ© des neurones et le comportement dans le but de faire des projections. Pour cela, nous mesurons l’activitĂ© neuronale de cerveaux d’oiseaux pendant le chant à l’aide d’électrodes. Nous avons ainsi dĂ©montrĂ© des mĂ©canismes de gĂ©nĂ©ration de la variabilitĂ© motrice. Plus concrĂštement, lors de l’apprentissage par essai-erreur, une premiĂšre Ă©tape consiste Ă  gĂ©nĂ©rer diffĂ©rents mouvements en vue d’identifier le meilleur. C’est la variabilitĂ© motrice. Il faut imaginer un enfant qui apprend Ă  marcher en testant plein de mouvements diffĂ©rents. Nous avons donc dĂ©couvert comment cette variabilitĂ© est gĂ©nĂ©rĂ©e pendant l’apprentissage du chant.

Au cours d’un autre projet, nous avons mis en Ă©vidence le rĂŽle encore mal connu du cervelet, une autre rĂ©gion cĂ©rĂ©brale, dans l’apprentissage du chant. Le cervelet interagit avec les ganglions de la base et est ainsi connectĂ© au rĂ©seau d’apprentissage du chant.

Il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que le chant de l’oiseau chanteur Ă©volue tout au long de sa vie. Est-ce que ce rĂ©apprentissage suit les mĂȘmes mĂ©canismes que l’apprentissage initial ?

AL : Pour rĂ©pondre, je vais vous prĂ©senter deux modĂšles que nous avons au laboratoire. D’un cĂŽtĂ©, nous travaillons sur le canari. Chaque annĂ©e, son chant se reforme : il a un chant stĂ©rĂ©otypĂ© au printemps, puis arrĂȘte de chanter l’étĂ©. Si bien qu’à l’automne, son chant s’est dĂ©gradĂ© et il va rĂ©apprendre et intĂ©grer de nouvelles syllabes. On parle d’apprentissage ouvert, comme les perruches et les perroquets. Ces oiseaux ont la capacitĂ© d’apprendre tout au long de leur vie. 

À l’autre extrĂ©mitĂ© du spectre de l’apprentissage, nombre d’oiseaux acquiĂšrent un chant qui se fige Ă  la pubertĂ©. C’est le cas des moineaux et du diamant mandarin, qui est la deuxiĂšme espĂšce que nous Ă©tudions au sein de mon laboratoire. Celui-ci est domestiquĂ© depuis des milliers d’annĂ©es. Il se reproduit trĂšs bien en captivitĂ© et tout au long de l’annĂ©e, ce qui explique aussi pourquoi nous l’utilisons en recherche. 

L’implication des ganglions de la base dans l’apprentissage initial du chant a Ă©tĂ© dĂ©couverte chez le mandarin. Nous avons cherchĂ© Ă  savoir si le rĂ©apprentissage saisonnier du chant chez le canari impliquait les mĂȘmes structures. Et nous avons effectivement observĂ© les mĂȘmes structures mentionnĂ©es pus tĂŽt, qui permettent de faire de la variabilitĂ© motrice dans le contexte de ce rĂ©apprentissage. Il y a de nombreuses Ă©tudes sur le comportement des oiseaux, avec l’enregistrement de chants. Mais il existe encore peu d’étude sur la physiologie des oiseaux qui permettent de confronter le fonctionnement du cerveau d’une espĂšce Ă  l’autre.

Le principal avantage du recours Ă  l'oiseau chanteur est qu'il permet d'Ă©tudier un comportement naturel.

Quels sont les limites et les avantages de ces modĂšles animaux ?

AL : Plusieurs limites sont associĂ©es Ă  l’oiseau chanteur. Il s’agit d’un petit animal peu Ă©tudiĂ© Ă  travers le monde. Nous manquons de comparaisons et de technologies adaptĂ©es afin de rĂ©aliser nos observations, contrairement au modĂšle rongeur trĂšs largement Ă©tudiĂ©. Il s’agit d’un animal Ă©loignĂ© des mammifĂšres en termes d’évolution. Il reste donc des diffĂ©rences importantes dans le fonctionnement de son cerveau dont on ne connaĂźt pas bien les raisons.

Le principal avantage est qu’il permet d’étudier un comportement naturel. L’essentiel des neurosciences comportementales a portĂ© jusqu’à prĂ©sent sur du conditionnement. Par exemple : un rat ou une souris apprend Ă  pousser des leviers ou Ă  suivre des indices dans le but de recevoir une rĂ©compense. Cette approche expĂ©rimentale a conduit Ă  des comportements artificiels qui ne sont pas ceux pour lesquels les espĂšces ont Ă©voluĂ©. En travaillant dans le cadre naturel, nous cernons mieux le fonctionnement des diffĂ©rentes zones cĂ©rĂ©brales impliquĂ©es lors de comportements spontanĂ©s. Le deuxiĂšme avantage est que le chant est une tĂąche complexe qui s’appuie sur un apprentissage rapide et propre Ă  l’oiseau. En dĂ©finitive, l’oiseau chanteur est complĂ©mentaire au modĂšle rongeur, car il permet d’étudier un comportement plus riche.

Comment les connaissances acquises sur ces modĂšles peuvent-elles servir Ă  mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain ?

AL : En neurosciences, l’objectif principal est en effet de mieux comprendre le cerveau humain. Au sein de mon Ă©quipe de recherche, nous menons actuellement un projet qui vise Ă  identifier des principes gĂ©nĂ©raux gouvernant l’apprentissage moteur et les dysfonctionnements associĂ©s dans le cas de la maladie de Parkinson. Ces recherches s’appuient sur des expĂ©riences menĂ©es chez le rat, le singe et des enregistrements cĂ©rĂ©braux rĂ©alisĂ©s Ă  l’aide d’électrodes implantĂ©es Ă  des fins thĂ©rapeutiques sur des patients parkinsoniens. Or, souvent pour mieux saisir les effets d’une pathologie, nous avons besoin de connaissances sur le fonctionnement normal du cerveau. C’est pourquoi, nous prĂ©voyons de tester de nouveaux protocoles de stimulation cĂ©rĂ©brale en fonction d’observations rĂ©alisĂ©es sur l’oiseau chanteur sain, et ainsi faire Ă©voluer les traitements actuels.


Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor

L'utilisation des oiseaux en France

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