Les oiseaux chanteurs, comme les passereaux, apprennent Ă chanter en imitant leur pĂšre ou leur tuteur, tel un bĂ©bĂ© babille pour reproduire le son Ă©mis par ses parents. Au cĆur de ces capacitĂ©s dâapprentissage : les ganglions de la base, une zone du cerveau prĂ©sente chez lâoiseau et les mammifĂšres. Au sein lâInstitut des maladies neurodĂ©gĂ©nĂ©ratives (CNRS/UniversitĂ© de Bordeaux), Arthur Leblois – chercheur au CNRS -vise Ă mieux comprendre le rĂŽle de ces structures cĂ©rĂ©brales dans lâapprentissage moteur.
Ce qu'il faut retenir
- Les neurosciences visent Ă comprendre le fonctionnement du systĂšme nerveux et du cerveau.
- L'apprentissage du chant chez l'oiseau chanteur est procédural. Il s'apparente à celui de la parole chez l'enfant.
- L'étude de l'oiseau chanteur permet d'étudier un comportement naturel. Il est complémentaire aux études chez les rongeurs, souvent basées sur le conditionnement.
Pouvez-vous nous prĂ©senter lâobjet de vos recherches en neurosciences et le modĂšle animal utilisĂ© dans vos travaux ?
Arthur Leblois : Physicien de formation, je suis entrĂ© dans les neurosciences â les sciences qui Ă©tudient le systĂšme nerveux – par la porte de la modĂ©lisation de rĂ©seaux de neurones. Cela mâa amenĂ© Ă mâintĂ©resser aux ganglions de la base, des noyaux cĂ©rĂ©braux profonds situĂ©s sous le cortex et qui lui sont bien plus anciens dans lâĂ©volution de notre cerveau. En communiquant avec le cortex, cette zone profonde du cerveau est notamment impliquĂ©e dans le contrĂŽle et lâapprentissage moteur. Par exemple, la maladie de Parkinson est essentiellement due Ă un manque de dopamine au sein des ganglions de la base. Ă travers mes recherches, je mâintĂ©resse Ă mieux comprendre le rĂŽle de cette zone cĂ©rĂ©brale lors de lâapprentissage moteur chez un ĂȘtre sain. Je travaille en particulier sur lâapprentissage du chant chez lâoiseau chanteur, c’est-Ă -dire les passereaux (merle, canari, rouge gorge, mĂ©sange, diamant mandarin, etc.) qui ont un chant complexe et Ă©volutif tout au long de leur vie.
Quel est le lien entre les fonctions motrices et le chant ?
AL : Nous avons tendance Ă oublier que lorsque nous parlons, nous contrĂŽlons en permanence les muscles des cordes vocales et ceux liĂ©es Ă la respiration afin de produire des sons. Ce contrĂŽle est inconscient chez lâadulte. La parole ou le chant sont des apprentissages procĂ©duraux comme faire du vĂ©lo, conduire, ou encore faire ses lacets. Cela signifie quâau dĂ©but, nous dĂ©cortiquons les Ă©tapes du mouvement une par une, et Ă force de rĂ©pĂ©tition, lâacquisition de ces mouvements devient automatique. Câest la mĂȘme chose pour le chant chez lâoiseau. Au dĂ©part, lâoisillon apprend Ă contracter ses muscles jusquâĂ atteindre une coordination motrice trĂšs rapide et trĂšs prĂ©cise lui permettant de produire les sons dĂ©sirĂ©s.
Le chant de l'oiseau chanteur n'est pas un comportement inné, mais acquis.
Pourquoi lâoiseau chanteur est-il particuliĂšrement intĂ©ressant en neurosciences ?
AL : Le chant de lâoiseau chanteur nâest donc pas un comportement innĂ©, mais acquis. Les oisillons apprennent par imitation dâun tuteur, souvent le pĂšre. Si bien quâun petit qui nâest pas exposĂ© aux vocalises de son espĂšce ne saura jamais chanter. Pour apprendre, il Ă©coute et reproduit les sons entendus par une succession dâessais-erreurs. Cet apprentissage nĂ©cessite lâintĂ©gritĂ© du circuit des ganglions de la base du cerveau de lâoiseau. Et justement, le fait dâavoir un circuit dans son cerveau uniquement dĂ©diĂ© au chant, le rend particuliĂšrement intĂ©ressant. Il nây a pas dâinterfĂ©rence avec dâautres mĂ©canismes cĂ©rĂ©braux et il nous aide ainsi Ă mieux comprendre le fonctionnement des rĂ©gions concernĂ©es du cerveau dans lâapprentissage moteur.Â
Par ailleurs, des Ă©tudes passĂ©es ont notamment identifiĂ© de nombreuses homologies et similaritĂ©s dans lâorganisation fonctionnelle du cerveau de lâoiseau et celui des mammifĂšres dans les tĂąches dâapprentissage. Par exemple, les ganglions de la base servent Ă©galement Ă lâapprentissage de la parole chez lâhumain. Dans mes recherches, mon objectif est dâĂ©tudier ce modĂšle afin de mieux comprendre le rĂŽle des ganglions de la base dans lâapprentissage du chant en particulier, et lâapprentissage moteur en gĂ©nĂ©ral.
Quâont-dĂ©montrĂ© vos Ă©tudes sur lâapprentissage du chant de ces oiseaux ?
AL : Au laboratoire, nous rĂ©alisons des modĂšles informatiques reproduisant la dynamique des rĂ©seaux de neurones. Lâobjectif est dâĂ©tudier le lien entre lâactivitĂ© des neurones et le comportement dans le but de faire des projections. Pour cela, nous mesurons lâactivitĂ© neuronale de cerveaux dâoiseaux pendant le chant à lâaide dâĂ©lectrodes. Nous avons ainsi dĂ©montrĂ© des mĂ©canismes de gĂ©nĂ©ration de la variabilitĂ© motrice. Plus concrĂštement, lors de lâapprentissage par essai-erreur, une premiĂšre Ă©tape consiste Ă gĂ©nĂ©rer diffĂ©rents mouvements en vue dâidentifier le meilleur. Câest la variabilitĂ© motrice. Il faut imaginer un enfant qui apprend Ă marcher en testant plein de mouvements diffĂ©rents. Nous avons donc dĂ©couvert comment cette variabilitĂ© est gĂ©nĂ©rĂ©e pendant lâapprentissage du chant.
Au cours dâun autre projet, nous avons mis en Ă©vidence le rĂŽle encore mal connu du cervelet, une autre rĂ©gion cĂ©rĂ©brale, dans lâapprentissage du chant. Le cervelet interagit avec les ganglions de la base et est ainsi connectĂ© au rĂ©seau dâapprentissage du chant.
Il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que le chant de lâoiseau chanteur Ă©volue tout au long de sa vie. Est-ce que ce rĂ©apprentissage suit les mĂȘmes mĂ©canismes que lâapprentissage initial ?
AL : Pour rĂ©pondre, je vais vous prĂ©senter deux modĂšles que nous avons au laboratoire. Dâun cĂŽtĂ©, nous travaillons sur le canari. Chaque annĂ©e, son chant se reforme : il a un chant stĂ©rĂ©otypĂ© au printemps, puis arrĂȘte de chanter lâĂ©tĂ©. Si bien quâĂ lâautomne, son chant sâest dĂ©gradĂ© et il va rĂ©apprendre et intĂ©grer de nouvelles syllabes. On parle dâapprentissage ouvert, comme les perruches et les perroquets. Ces oiseaux ont la capacitĂ© dâapprendre tout au long de leur vie.Â
Ă lâautre extrĂ©mitĂ© du spectre de lâapprentissage, nombre dâoiseaux acquiĂšrent un chant qui se fige Ă la pubertĂ©. Câest le cas des moineaux et du diamant mandarin, qui est la deuxiĂšme espĂšce que nous Ă©tudions au sein de mon laboratoire. Celui-ci est domestiquĂ© depuis des milliers dâannĂ©es. Il se reproduit trĂšs bien en captivitĂ© et tout au long de lâannĂ©e, ce qui explique aussi pourquoi nous lâutilisons en recherche.Â
Lâimplication des ganglions de la base dans lâapprentissage initial du chant a Ă©tĂ© dĂ©couverte chez le mandarin. Nous avons cherchĂ© Ă savoir si le rĂ©apprentissage saisonnier du chant chez le canari impliquait les mĂȘmes structures. Et nous avons effectivement observĂ© les mĂȘmes structures mentionnĂ©es pus tĂŽt, qui permettent de faire de la variabilitĂ© motrice dans le contexte de ce rĂ©apprentissage. Il y a de nombreuses Ă©tudes sur le comportement des oiseaux, avec lâenregistrement de chants. Mais il existe encore peu dâĂ©tude sur la physiologie des oiseaux qui permettent de confronter le fonctionnement du cerveau dâune espĂšce Ă lâautre.
Le principal avantage du recours Ă l'oiseau chanteur est qu'il permet d'Ă©tudier un comportement naturel.
Quels sont les limites et les avantages de ces modĂšles animaux ?
AL : Plusieurs limites sont associĂ©es Ă lâoiseau chanteur. Il sâagit dâun petit animal peu Ă©tudiĂ© Ă travers le monde. Nous manquons de comparaisons et de technologies adaptĂ©es afin de rĂ©aliser nos observations, contrairement au modĂšle rongeur trĂšs largement Ă©tudiĂ©. Il sâagit dâun animal Ă©loignĂ© des mammifĂšres en termes dâĂ©volution. Il reste donc des diffĂ©rences importantes dans le fonctionnement de son cerveau dont on ne connaĂźt pas bien les raisons.
Le principal avantage est quâil permet dâĂ©tudier un comportement naturel. Lâessentiel des neurosciences comportementales a portĂ© jusquâĂ prĂ©sent sur du conditionnement. Par exemple : un rat ou une souris apprend Ă pousser des leviers ou Ă suivre des indices dans le but de recevoir une rĂ©compense. Cette approche expĂ©rimentale a conduit Ă des comportements artificiels qui ne sont pas ceux pour lesquels les espĂšces ont Ă©voluĂ©. En travaillant dans le cadre naturel, nous cernons mieux le fonctionnement des diffĂ©rentes zones cĂ©rĂ©brales impliquĂ©es lors de comportements spontanĂ©s. Le deuxiĂšme avantage est que le chant est une tĂąche complexe qui sâappuie sur un apprentissage rapide et propre Ă lâoiseau. En dĂ©finitive, lâoiseau chanteur est complĂ©mentaire au modĂšle rongeur, car il permet dâĂ©tudier un comportement plus riche.
Comment les connaissances acquises sur ces modĂšles peuvent-elles servir Ă mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain ?
AL : En neurosciences, lâobjectif principal est en effet de mieux comprendre le cerveau humain. Au sein de mon Ă©quipe de recherche, nous menons actuellement un projet qui vise Ă identifier des principes gĂ©nĂ©raux gouvernant lâapprentissage moteur et les dysfonctionnements associĂ©s dans le cas de la maladie de Parkinson. Ces recherches sâappuient sur des expĂ©riences menĂ©es chez le rat, le singe et des enregistrements cĂ©rĂ©braux rĂ©alisĂ©s Ă lâaide dâĂ©lectrodes implantĂ©es Ă des fins thĂ©rapeutiques sur des patients parkinsoniens. Or, souvent pour mieux saisir les effets dâune pathologie, nous avons besoin de connaissances sur le fonctionnement normal du cerveau. Câest pourquoi, nous prĂ©voyons de tester de nouveaux protocoles de stimulation cĂ©rĂ©brale en fonction dâobservations rĂ©alisĂ©es sur lâoiseau chanteur sain, et ainsi faire Ă©voluer les traitements actuels.
L'utilisation des oiseaux en France
- Selon les statistiques 2021, les oiseaux représentent 0,5 % des animaux utilisés à des fins scientifiques (hors volailles).
- 99% dâentre eux sont utilisĂ©s dans des procĂ©dures de gravitĂ© lĂ©gĂšre Ă modĂ©rĂ©e.
- 82 % des utilisations sont en recherche soit appliquée, soit fondamentale