🎙️ Comités d’éthique : une évolution en pleine dynamique

Les comités d’éthique en expérimentation animale évaluent l’ensemble des projets ayant recours à des animaux pour la recherche ou l’agriculture notamment. Plusieurs critiques en lien avec leur impartialité, leur composition ou encore leur prise de décision sont souvent émises par différents observateurs. Depuis sa nomination en tant que président du Comité national de réflexion éthique en expérimentation animale, Pierre Mormède a lancé une dynamique nouvelle afin d’évaluer la situation réelle et de proposer des pistes d’amélioration.

Ce qu’il faut retenir

  • Le ComitĂ© national de rĂ©flexion Ă©thique en expĂ©rimentation animale Ă©tablit le bilan annuel d’activitĂ© des comitĂ©s d’Ă©thique en expĂ©rimentation animale et Ă©met des avis ainsi que des recommandations auprès des ministères afin d’amĂ©liorer leur fonctionnement.
  • La question de la reprĂ©sentativitĂ© des cinq compĂ©tences clĂ©s essentielles aux comitĂ©s d’éthique fait l’objet de nombreuses rĂ©flexions afin de renforcer l’impartialitĂ© des prises de dĂ©cisions des comitĂ©s d’éthique.
  • Le CNREEA soutient l’intĂ©rĂŞt de crĂ©er un pont nouveau entre les questions Ă©thiques et scientifiques et entre les comitĂ©s d’éthique et les organismes de financement pour la recherche acadĂ©mique.

Pierre Mormède

Pourriez-vous vous présenter ?

Pierre Mormede : Je suis docteur vétérinaire et universitaire. J’ai travaillé en tant que Directeur de recherche à l’Inrae jusqu’en 2016 où j’ai étudié le stress d’un point de vue biologique et comportemental chez le rat et le porc. Depuis 2019, je suis président du Comité national de réflexion éthique en expérimentation animale (CNREEA).

Qu’est-ce que le CNREEA ?

P. M. : Le ComitĂ© national est consultatif. Actuellement, il se rĂ©unit quatre fois par an et fonctionne sur la base de groupes de travail qui instruisent les diffĂ©rentes questions Ă  l’étude sur les enjeux Ă©thiques soulevĂ©s par l’expĂ©rimentation animale. Nous Ă©mettons des avis et des recommandations auprès de la commission pour la protection des animaux utilisĂ©s Ă  des fins scientifiques (dite CNEA), elle-mĂŞme rattachĂ©e au ministère de l’Enseignement supĂ©rieur et de la Recherche (MESR) et du ministère de l’Agriculture et de la SouverainetĂ© alimentaire (MASA). Une des missions du CNREEA est aussi d’Ă©tablir le bilan national d’activitĂ© annuelle des comitĂ©s d’Ă©thique.

Depuis sa crĂ©ation en 2005, le CNREEA avait peu fait parler de lui. Mis Ă  part l’élaboration de la charte nationale sur l’éthique de l’expĂ©rimentation animale, il n’avait Ă©mis que deux avis en quinze ans d’existence. Lorsque j’ai Ă©tĂ© nommĂ© prĂ©sident, il y avait donc beaucoup Ă  faire afin de corriger des incohĂ©rences dans le fonctionnement du ComitĂ© national et celui des comitĂ©s d’éthique qu’il est chargĂ© d’observer. Une première Ă©tude approfondie nous a permis d’établir un bilan annuel (sur l’annĂ©e 2021) de l’activitĂ© des comitĂ©s d’Ă©thique et de formuler des recommandations visant Ă  fixer les conditions de leur agrĂ©ment par le MESR et Ă  amĂ©liorer leurs pratiques.




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En savoir plus

Depuis 2020, le CNREEA dispose d’une page sur le site internet du ministère chargé de la Recherche. Toutes les informations concernant le Comité national, textes réglementaires et composition, y sont disponibles pour tous, ainsi que toute son activité : relevés de décisions des réunions et bilans annuels d’activité, avis et recommandations, bilans annuels d’activité des comités d’éthique, dans un souci de totale transparence. 

Dans ce premier bilan sur l’année 2021, vous aviez mis en avant plusieurs aspects des comités d’éthique qui devaient être corrigés. Un an plus tard, comment a-t-elle évolué ?

P. M. : Le nouveau bilan sur l’annĂ©e 2022 montre une diminution du nombre de projets traitĂ©s annuellement par les comitĂ©s comparĂ©s Ă  2021 (-18,5 %). La majoritĂ© des projets a Ă©tĂ© Ă©valuĂ©e par des comitĂ©s Ă  rattachements multi-institutionnels qui Ă©tudient au moins dix dossiers par an. Il s’agit de deux conditions que nous avions mises en avant l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente et qui favorisent, d’une part, l’indĂ©pendance des comitĂ©s et, d’autre part, le maintien de leurs compĂ©tences pour Ă©valuer un projet. Le nombre de comitĂ©s a aussi Ă©tĂ© rĂ©duit de 108 Ă  87 notamment Ă  la faveur des regroupements de comitĂ©s impliquant plusieurs institutions, ce qui favorise leur indĂ©pendance et prĂ©vient les conflits d’intĂ©rĂŞts. Nous sommes ainsi passĂ©s de 61 comitĂ©s mono-institutionnels Ă  33, sachant que la plupart d’entre eux intègrent dĂ©sormais des membres extĂ©rieurs Ă  l’institution. Il y a donc eu des changements positifs considĂ©rables, mais des progrès restent Ă  faire, car leur système d’évaluation Ă©thique est encore très hĂ©tĂ©rogène.

Un des enjeux majeurs est de renforcer l’impartialité des comités d’éthique. Quelle est la situation actuelle ?

P. M. : La question de la partialité est directement liée au nombre d’institutions de rattachement des comités d’éthique. Au moment de ma prise de fonction, s’est posée la question de comment assurer cette impartialité en partant du modèle existant de fonctionnement des comités d’éthique en expérimentation animale. Le CNREEA a recommandé de favoriser en priorité la constitution de comités pluri-institutionnels. L’idée est d’éviter les liens d’intérêt en diversifiant la représentation entre les établissements au sein des comités. Attention, en contrepartie, la présence d’une trop grande quantité d’établissements est contre-productive, car elle peut entraver le fonctionnement des comités.

Pour les comités demeurant mono-institutionnels, nous avions ensuite préconisé qu’au moins 25 % des membres ne soient pas affiliés à l’organisme concerné. Résultat : seuls 5 comités sur 33 n’ont pas atteint ce seuil. Cette problématique n’est donc pas encore réglée, mais elle est en bonne voie. Enfin, l’indépendance et l’impartialité des comités doivent être assurées par un audit régulier par les ministères.

L’indépendance et l’impartialité des comités doivent être assurées
par un audit régulier par les ministères.

Plusieurs expertises se rencontrent au sein des comités. Ont-elles toutes le même poids dans les prises de décision des comités d’éthique en expérimentation animale ?

P. M. : RĂ©glementairement, il faut que cinq compĂ©tences soient reprĂ©sentĂ©es dans les comitĂ©s d’éthique, liĂ©es Ă  la conception d’expĂ©rimentations, leur rĂ©alisation, le soin des animaux, une expertise vĂ©tĂ©rinaire et une personne non spĂ©cialisĂ©e dans les questions relatives Ă  l’utilisation des animaux Ă  des fins scientifiques. Cette dernière, avec son regard dĂ©tachĂ© des considĂ©rations professionnelles et techniques, joue un rĂ´le Ă©thique essentiel. Problème : les personnes non-spĂ©cialistes sont gĂ©nĂ©ralement sous reprĂ©sentĂ©es au sein des comitĂ©s, ce qui nourrit l’image d’un certain entre-soi et questionne le poids rĂ©el de leur vote dans les dĂ©cisions finales des comitĂ©s.

Il y a Ă©galement un manque de vĂ©tĂ©rinaires. Lorsque les institutions ne disposent pas de vĂ©tĂ©rinaires en leur sein pour prendre part aux activitĂ©s des comitĂ©s d’éthique, il est plus difficile de motiver un professionnel extĂ©rieur Ă  participer Ă  ce genre d’exercice. Nous discutons actuellement au sein du CNREEA pour la mise en place d’une indemnisation financière de leur implication. Nous venons Ă©galement de rĂ©diger un avis soutenant la mise en place de nouvelles formations des membres des comitĂ©s afin d’amĂ©liorer une prise de dĂ©cision Ă©clairĂ©e de l’ensemble des membres.

Les associations de défense des droits des animaux citent souvent le modèle des comités de protection des personnes en médecine humaine afin de remédier à ce manque de représentativité. Est-il transposable aux comités d’éthique ?

P. M. : Ces structures sont beaucoup plus complexes que les comités d’éthique en expérimentation animale actuels. Ils sont notamment constitués de juristes, de sociologues ou de philosophes. Leur composition est assez comparable à celle du CNREEA. Je pense qu’il y a sûrement des choses à prendre de ces modèles. Nous avons d’ailleurs un groupe de travail en cours sur le sujet. Néanmoins, il me semble difficile de le transposer aux comités d’éthique. 30 d’entre eux sur 87 rapportent des difficultés de recrutement sur les profils non-spécialistes, les soigneurs et les vétérinaires. Comment attirer alors encore plus de profils diversifiés sachant cela ? Nous devons déjà analyser en profondeur cette question cruciale de recrutement sur les expertises existantes en vue d’apporter des solutions pérennes.


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Une autre critique régulière est que tous les projets soumis aux comités d’éthique sont acceptés. Comment expliquer qu’il y ait autant d’avis favorables ?

P. M. : Le taux Ă©levĂ© d’avis favorables s’explique par le fonctionnement du système de revue des projets par le comitĂ© d’éthique. Il s’appuie sur une sĂ©rie d’échanges avec l’auteur du projet visant Ă  apporter toutes les modifications nĂ©cessaires Ă  sa recevabilitĂ© rĂ©glementaire et Ă©thique en amont de la dĂ©cision finale matĂ©rialisĂ©e par l’avis que le comitĂ© adresse au MESR. Un avis favorable sans modification n’a Ă©tĂ© accordĂ© que pour 8,7 % des projets en 2022. Ă€ l’inverse, 88 % des dossiers ont reçu un avis favorable après des modifications souvent consĂ©quentes allant jusqu’à la réécriture partielle de la version initiale soumise. Notre Ă©tude montre qu’il y a eu entre une et quinze navettes entre le porteur de projet et le comitĂ©.

Nous constatons, toutefois, que 48 % des avis sont Ă©mis en dehors des dĂ©lais rĂ©glementaires de sept semaines. C’est le temps lĂ©gal sĂ©parant la date de saisie du comitĂ© et celle de l’avis rendu au ministère. La majoritĂ© des retards incombent aux demandeurs qui tardent Ă  rĂ©pondre aux comitĂ©s. Ils rĂ©sultent aussi du nombre consĂ©quent d’échanges, qui peut ĂŞtre considĂ©rĂ© positivement comme le gage d’un travail d’Ă©valuation approfondi.

Afin d’y remédier, nous proposons de formaliser la procédure de soumission. Il existe une plateforme de dépôt auprès du ministère de la Recherche, mais les demandeurs ne l’utilisent pas de façon systématique. Je pense que le nombre d’allers-retours entre le demandeur et le comité devrait également être limité. Les demandes dépassant ce seuil d’échange ou le délai réglementaire devraient être classées comme non-conformes.

Qu’est-ce qui pourrait être mis en place afin d’aider les comités d’éthique à rendre leur décision dans les délais réglementaires ?

P. M. : Avant d’être présenté à un comité d’éthique, un projet de recherche académique passe d’abord entre les mains d’un organisme de financement. Je suis très favorable à ce que les entités reconnues, comme l’Agence nationale de la recherche ou les comités scientifiques publics ou privés des fondations, prennent en charge une partie de l’évaluation éthique qui découle directement de l’évaluation scientifique des projets qu’elles financent.

Pourquoi ? Car elles sont les plus Ă  mĂŞme d’évaluer la pertinence scientifique d’un projet de recherche et en particulier la nĂ©cessitĂ© du recours au modèle animal dans ce cadre. Elles s’appuient sur des comitĂ©s très spĂ©cialisĂ©s qui ont une connaissance fine du thème et des avancĂ©es associĂ©es aux modèles les plus adaptĂ©s. Si l’on prend l’exemple de la première règle des 3R : est-ce qu’une expĂ©rience animale peut ĂŞtre remplacĂ©e par un modèle in vitro ? Il n’y a que les scientifiques du domaine qui peuvent Ă©valuer la pertinence scientifique d’une alternative, ceux qui connaissent bien le sujet.

En ce sens, le CNREEA va soumettre un avis pour soutenir la création d’un pont nouveau entre les questions éthiques et scientifiques et entre les comités d’éthique et les organismes de financement. Cela permettra de recentrer les comités sur l’évaluation purement éthique et donc de fluidifier leur travail.

Quelques chiffres

Un nouveau questionnaire a été envoyé à tous les comités pour établir le bilan annuel national d’activité en 2022 publié en octobre 2023.

  • La principale Ă©volution a Ă©tĂ© la rĂ©duction du nombre des comitĂ©s (87 vs 108).
  • 616 Ă©tablissements utilisateurs, 7 EU par comitĂ© (1 Ă  33), 4 tutelles (1 Ă  22).
  • 2 038 membres, 23 par comitĂ© (5 Ă  98).
  • 2 714 DAP traitĂ©es, 31 par comitĂ© (0 Ă  150)
  • 89 % des dossiers sont traitĂ©s par des comitĂ©s multi-EU et multi-institutions.
  • Et 96 % par des comitĂ©s qui instruisent 10 dossiers ou plus dans l’annĂ©e.

Une nouvelle dynamique s’est mise en place sous l’impulsion des recommandations du Comité national afin d’améliorer le fonctionnement général des comités d’éthique. Prévoyez-vous des études qualitatives qui cibleraient davantage les décisions prises par les comités ?

P. M. : Nous n’avons pas encore lancé d’évaluation qualitative. Pour l’heure, je pense qu’il est urgent de travailler sur le fonctionnement global, la structure et les bases communes à tous, et donc de mettre tout le monde au même niveau avant d’entrer dans les détails. Une analyse qualitative permettra d’évaluer au cours des prochaines années si la situation que nous sommes en train de construire est satisfaisante ou non. Une autre piste serait d’apporter des changements sur le plan législatif. Dans ce cas, il faut encore plus de temps avant d’observer un impact. S’il n’y a pas d’évolution notable, cette piste devra néanmoins être considérée. Mais tant que nous pouvons corriger les problèmes sans avoir recours à la voie législative, il faut en profiter. Les effets en seront d’autant plus immédiats pour les animaux.

Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor


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