Reconstructions informatiques, analyses de données, modélisations 3D, organoïdes, cultures cellulaires… L’éventail des approches cellulaires et tissulaires (in vitro) ou assistées par informatique (in silico) s’étend grâce aux avancées technologiques.
Sous l’égide de la Commission Européenne, la communauté scientifique s’est réunie en février 2021 pour faire le point sur ces méthodes scientifiques qui ne nécessitent pas de recours aux animaux, lors de la conférence internationale « Towards replacement of animals for scientific purposes ». Cet évènement a été l’occasion de constater la progression du développement des méthodes substitutives à base de cultures cellulaires sous l’impulsion d’entreprises innovantes et de la Commission Européenne.
Dans la lutte contre la COVID-19, différentes approches scientifiques sont utilisées en recherche biomédicale pour mieux comprendre le virus et soigner la maladie. Quelles sont les méthodes substitutives cellulaires qui ont émergées au fil des découvertes ? Comment sont-elles utilisées pour mieux comprendre la COVID-19 et développer des traitements efficaces ? Quelle complémentarité avec les autres méthodes ?
L’ingénierie tissulaire : une filière en plein essor
La Commission Européenne a publié le dernier rapport d’activité du laboratoire de référence sur les méthodes alternatives (EURL-ECVAM). Dans ce rapport 2020, la Commission Européenne fait le point sur les tests en développement, les validations et sur les actions pour leur diffusion et la formation des équipes de recherche.
De nouvelles technologies d’ingénierie tissulaire comme les cultures cellulaires en 3 dimensions (3D) ou organoïdes, la bio-impression en 3D ou la microfluidique permettent de concevoir des nouveaux dispositifs d’étude comme les organes-sur-puce particulièrement innovants.
Un organe-sur-puce (Organ on Chip ou OoC en anglais) est un dispositif électronique micro-fluidique, contenant des cultures cellulaires ou tissulaires dans un environnement contrôlé, qui recrée en temps réel un ou plusieurs aspects de la dynamique, de la fonctionnalité et de la réponse physiologique d’un organe in vivo. Il semble donc possible de reproduire in vitro certains assemblages tissulaires d’un organe grâce à de tels systèmes.
Plusieurs entreprises développent aujourd’hui ces dispositifs pour reproduire les fonctions tissulaires du foie, du poumon, du cœur, de l’intestin, du rein et d’autres organes encore. Le marché des organes-sur-puce est en plein essor. Principalement actif aux USA et en Europe, il devrait atteindre plusieurs centaines de millions de dollars en 2025.
Les besoins croissants pour l’étude des maladies infectieuses respiratoires comme la COVID-19 stimulent aussi les industriels de la biotechnologie : le marché des modèles pulmonaires in vitro est particulièrement en croissance avec l’essor des cultures cellulaires en 3D.
Étudier la pathogénicité du virus
Comment le virus pénètre dans les cellules ? Quelles cellules sont principalement touchées et comment elles réagissent ? Les propriétés du SARS-CoV-2 ont été étudiés sur des cultures cellulaires très répandues en laboratoire comme les cellules Vero E6. Certaines équipes ont ainsi pu comparer très finement in vitro les caractéristiques du SARS-CoV-2 avec d’autres coronavirus, comme les mutations, la réplication ou la capacité d’infection en présence de composés thérapeutiques.
Plusieurs organes peuvent être touchés en cas d’infection par le virus SARS-CoV-2 : poumons, système nerveux, intestins… Qu’en est-il du mécanisme d’action du virus sur les cellules spécialisées des tissus de ces organes ?
Certaines études réalisées sur organoïdes pulmonaires ont analysé les lésions histologiques et les réponses inflammatoires observées localement dans les tissus des voies respiratoires après une infection par le SARS-CoV-2. Les pneumocytes en culture expriment le récepteur du SARS-CoV-2, le récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine de type 2 (ACE2) et peuvent être infectés par le virus. Les conséquences pathologiques de l’infection ont été démontrées par l’étude du transcriptome et des analyses histologiques sur des alvéoles sphériques qui miment le tissu pulmonaire. Le dispositif cellulaire a ainsi permis de mettre en évidence l’apoptose, la diminution du surfactant protéique ou encore le déclenchement d’une réaction inflammatoire impliquant l’interféron gamma (IFN-G). Une piste thérapeutique intéressante à l’échelle cellulaire : une diminution de l’infection a été observée sur des cellules prétraitées avec des inhibiteurs IFN-G.
Le virus SARS-CoV-2 atteint également le système digestif. Des équipes de recherche ont utilisé des dispositifs d’organes sur puce mimant la muqueuse digestive pour tenter d’élucider les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans ces lésions tissulaires. Tout comme pour les pneumocytes de la muqueuse pulmonaire, les entérocytes infectés par le SARS-CoV-2 manifestent une activation inflammatoire avec mise en jeu de cytokines et d’interféron.
Identifier et sélectionner des candidats médicaments
Les cultures cellulaires sont aussi utilisées dans les phases d’identification de candidats thérapeutiques. L’objectif est de démonter in vitro le potentiel effet protecteur de la présence d’un composé à visée thérapeutique contre l’infection de la cellule par le SARS-CoV-2. L’évaluation de l’efficacité est réduite à ce stade au niveau cellulaire et principalement focalisée sur des mécanismes d’entrée et de réplication virale intracellulaire.
Par exemple un anticorps capable de neutraliser le virus SARS-CoV-2 a été identifié en laboratoire sur cultures cellulaires par une équipe de chercheurs néerlandais. Cet anticorps est neutralisant contre le coronavirus responsable de la COVID-19 mais aussi contre celui responsable du SRAS de 2003, et pourrait constituer une piste pour la prévention et le traitement de ces maladies.
Les organes-sur-puce pulmonaires permettent à certains laboratoires d’étudier l’entrée et la réplication du virus dans les cellules, sa virulence en fonction de la souche, ainsi que les activations inflammatoires et immunitaires qui en résultent. Ils peuvent donc servir à analyser la production de cytokines ou le recrutement de cellules immunitaires circulantes en réponse à une infection par des virus respiratoires à fort potentiel pandémique comme le SARS-COV-2 et tester in vitro différentes combinaisons thérapeutiques intéressantes.
Plus étonnant, des cultures cellulaires peuvent également constituer elles-mêmes des pistes thérapeutiques. Une équipe américaine a développé un système innovant de « nano-éponges » à base de cultures cellulaires pulmonaires aux propriétés thérapeutiques étonnantes. Ces composés sont formés de gouttes de polymère recouvertes d’une membrane de cellules pulmonaires et ont la particularité de capter plus de virus que des cellules pulmonaires normales. Jouant ainsi un rôle de leurre, elles aspirent localement les virus et pourraient diminuer l’infection des cellules de l’organisme.
Des approches complémentaires pour une recherche biomédicale efficace
Plusieurs méthodes scientifiques sont souvent nécessaires pour avancer dans la compréhension de mécanismes biologiques complexes tels que la pathogénicité du virus SARS-CoV-2.
Une étude franco-américaine illustre parfaitement l’intérêt de ce type d’approche multimodale pour analyser la capacité du SARS-CoV-2 à infecter les neurones. Les équipes de recherche ont analysé des cultures cellulaires cérébrales en 3D, des tissus cérébraux de patients décédés de la COVID-19 et des modèles murins d’infections au SARS-CoV-2. Si la voie empruntée par le virus n’est pas élucidée, le virus pénètre bien dans les neurones et s’y multiplie comme cela a été démontré in vitro sur les cultures cellulaires. Le virus a été retrouvé dans les neurones corticaux humains avec la mise en évidence d’accidents vasculaires ischémiques. Enfin les essais sur souris ont démontré que l’ACE2 est bien la porte d’entrée dans le neurone et que les régions infectées présentent un remodelage important du réseau vasculaire cérébral.
Les différentes approches utilisées ont donc permis de mettre en évidence l’existence d’un lien entre les accidents vasculaires et la présence du virus.
Pour tester l’efficacité et la sécurité de candidats médicaments, vaccins ou antiviraux, les approches multimodales sont aussi privilégiées. La sélection de candidats médicaments parmi plusieurs centaines peut s’effectuer sur des cultures cellulaires. D’autres approches alternatives sans animaux comme l’analyse des données par de « supercalculateurs » sont aussi utilisées pour sélectionner des candidats médicaments. Le supercalculateur Exscalate4Cov a permis de tester plus de 70 milliards de molécules en modélisant 15 sites d’interaction active du virus soit plus de mille milliards d’interactions, dans le but d’identifier de nouveaux traitements potentiels.
Les tests d’efficacité et d’innocuité plus poussés nécessitent des approches validées par les autorités réglementaires comme les essais sur des organismes intégrés animaux avant les phases de tests cliniques chez l’homme. Par exemple, différentes approches ont été utilisées pour étudier l’efficacité du Remdesivir contre le SARS-CoV-2. Des cultures cellulaires aux patients, en passant par des essais sur animaux comme des primates, toutes ces méthodologies scientifiques permettent de répondre à des questions précises et de définir les meilleures conditions d’administration de ce composé dans les traitements contre la COVID-19.
D’autres médicaments, comme les vaccins, ont un mécanisme d’action qui se base sur l’activation du système immunitaire du patient, et engagent donc des systèmes biologiques cellulaires et humoraux plus complexes. Pour ces essais d’efficacité et d’innocuité, le recours aux organismes intégrés animaux plus proches de l’homme s’avère majoritaire car plus pertinent.
Les dispositifs cellulaires peuvent être utilisés en complément des essais sur animaux et d’autres approches pour détecter les voies moléculaires activées par la présence du virus mais aussi potentiellement pour sélectionner des candidats médicaments efficaces au niveau cellulaire. En l’absence de dispositifs cellulaires validés d’un point de vue réglementaire, le recours aux animaux reste à ce jour nécessaire pour les essais précliniques d’efficacité et d’innocuité des nouveaux médicaments.
La complémentarité des différentes approches, combinées avec les études cliniques, aboutit à un faisceau de résultats scientifiques convergents pour élucider et enrayer les mécanismes biologiques qui sous-tendent l’infection virale. Dans la compréhension comme dans le développement de solutions thérapeutiques, les approches multimodales illustrent bien l’approche 3R et s’avèrent les plus efficaces pour mener à bien une recherche biomédicale de qualité.