🎙️ Démystification : comprendre les organoïdes et leurs applications

Le Groupement de recherche (GDR) Organoïdes réunit la communauté scientifique française autour du développement et de l’étude des modèles biologiques du même nom. Nous avons rencontré Vincent Flacher, directeur du GDR, et Maxime Mahé, membre du comité de pilotage du GDR. Ils déroulent avec nous le fil de discussion autour des modèles organoïdes, de leur conception à leur utilisation, en passant par les enjeux de demain.

Ce qu’il faut retenir

  • Les organoĂŻdes reproduisent partiellement l’architecture et les fonctions d’un organe, malgrĂ© des rĂ©serves sur la reproductibilitĂ© des rĂ©sultats ;
  • Les organoĂŻdes sont une avancĂ©e prometteuse pour la mĂ©decine personnalisĂ©e ;
  • Les organoĂŻdes peuvent ĂŞtre associĂ©s entre eux ou avec des puces pour modĂ©liser des structures plus complexes.

Vincent Flacher et Maxime Mahé

Quelles sont vos fonctions et vos spécialités de recherche ?

Maxime MahĂ© : Je suis chargĂ© de recherche Ă  l’Inserm. Mon groupe est spĂ©cialisĂ© dans l’Ă©tude du dĂ©veloppement et de la physiologie intestinale humaine en condition normale et au cours des maladies.

Vincent Flacher : Je suis immunologiste au CNRS. Je m’intĂ©resse particulièrement Ă  la peau, cette barrière qui nous protège physiquement et immunologiquement lors de ses rencontres avec des pathogènes extĂ©rieurs.

Vous êtes tous les deux impliqués dans le comité de pilotage du GDR organoïdes. Qu’est-ce qu’un organoïde ?

M. M : Un organoĂŻde est une structure multicellulaire en trois dimensions qui mime une partie de l’architecture d’un organe cible et certaines de ses fonctions physiologiques. Pour aboutir Ă  un organoĂŻde, il y a deux façons de procĂ©der. Dans la première, nous utilisons des cellules dĂ©jĂ  compĂ©tentes, c’est-Ă -dire des cellules souches adultes ou des progĂ©niteurs de tissus spĂ©cifiques. Celles-ci sont prĂ©levĂ©es chez un donneur et mises en culture. Ces cellules s’auto-organisent ensuite pour former une structure de l’organe cible. Par exemple, nous prĂ©levons des cellules souches adultes de l’intestin afin de reformer une partie de l’organe intestinal.

La seconde façon de faire consiste Ă  diriger la diffĂ©renciation des cellules, donc Ă  orienter des cellules non spĂ©cifiĂ©es vers un organe donnĂ©. On utilise alors des cellules souches pluripotentes qui ont la capacitĂ© de donner quasiment toutes les cellules de l’organisme. Selon les techniques utilisĂ©es et les organes visĂ©s, la taille des organoĂŻdes oscille entre une centaine de micromètres Ă  plusieurs millimètres. Ils ne sont pas du tout comparables Ă  un organe rĂ©el autant en termes de taille que de physiologie et d’architecture.

Les organoïdes ne sont pas du tout comparables à un organe réel
autant en termes de taille que de physiologie et d’architecture.

Comment utilisez-vous les organoïdes dans vos recherches ? Utilisez-vous également des modèles animaux ?

M. M : L’objectif de mon équipe est de comprendre les aspects fondamentaux de la mise en place du tube digestif ainsi que les pathologies digestives. Nous utilisons pour cela des organoïdes qui miment différentes fonctions de l’intestin depuis une dizaine d’années.

V. F : Je ne travaille pas Ă  proprement parler sur des organoĂŻdes, mais plutĂ´t sur des modèles tissulaires 3D. Mon objectif est de complexifier ces modèles de peau en leur ajoutant un système immunitaire et des neurones sensoriels qui sont notamment connus pour interagir dans certaines maladies comme la dermatite atopique (une maladie de peau commune). Mes recherches sont donc Ă  la croisĂ©e des chemins entre les personnes qui font des organoĂŻdes et la volontĂ© actuelle d’enrichir ces structures en leur ajoutant d’autres composantes qui font partie intĂ©grante d’un organe donnĂ©. Afin de nous assurer que nos modèles respectent la physiologie, nous travaillons Ă©galement chez la souris et sur des explants chirurgicaux de peau humaine.

OrganoĂŻde intestinal © INSERM TENS – MAHÉ

Quels sont les différents types d’organoïdes ?

M. M : Les mĂ©thodes mises en place permettent de rĂ©aliser des organoĂŻdes de plusieurs organes : intestin, foie, rein, poumon, rĂ©tine, cerveau, etc. Nous parlons aussi de plus en plus d’assembloĂŻdes. Ces derniers consistent Ă  rĂ©unir des organoĂŻdes qui miment diffĂ©rentes fonctions d’un mĂŞme organe ou d’un système physiologique et Ă  les faire interagir. Le cas le plus connu est un assembloĂŻde cĂ©rĂ©bral qui rĂ©unit des organoĂŻdes de diffĂ©rentes rĂ©gions du cerveau. Dans mon Ă©quipe, nous commençons Ă  travailler sur des assembloĂŻdes du système digestif combinant des fonctions du pancrĂ©as, de l’intestin et du foie. Bien Ă©videmment, nous sommes encore loin d’une reprĂ©sentation intĂ©grĂ©e, comme dans le cas d’un modèle animal.

V. F : Il y a Ă©galement des organoĂŻdes reproduisant des pathologies. Par exemple, les tumoroĂŻdes sont crĂ©Ă©s Ă  partir d’une tumeur. Ils sont envisagĂ©s pour faire de la mĂ©decine personnalisĂ©e. On extrait alors une petite partie de la tumeur d’un patient que l’on cultive en laboratoire pour tester ensuite des traitements adaptĂ©s au patient. Les tumoroĂŻdes servent aussi Ă  l’identification plus large d’agents thĂ©rapeutiques qui agiraient sur une grande variĂ©tĂ© de tumeurs. Cela reste, pour le moment, un outil de recherche fondamentale et prĂ©clinique.

M. M : Des organoïdes dérivés de pathologies existent aussi de manière assez avancée sur des maladies rares, dont la mucoviscidose. À partir de prélèvements naso-pharyngés, les chercheurs font des organoïdes pulmonaires qui permettent de tester des potentiels médicaments. Ils ciblent le canal CFTR qui est défaillant chez ces patients.

Quelques mots sur le GDR organoĂŻdes


Un GDR (Groupement de Recherche) vise Ă  rĂ©unir la communautĂ© scientifique française autour d’une thĂ©matique ou problĂ©matique commune en lui offrant une plateforme d’échange et ainsi stimuler les collaborations et la production de connaissances. Le GDR organoĂŻdes a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 2021. Il rĂ©unit une centaine d’Ă©quipes de recherche Ă  travers la France, travaillant sur une liste d’organes qui couvre la totalitĂ© du corps humain. Les spĂ©cialitĂ©s y sont Ă©galement larges : organoĂŻdes humains et animaux, tumoroĂŻdes, ingĂ©nierie tissulaire, organes sur puce, etc.

Depuis sa crĂ©ation, ce rĂ©seau a soutenu diffĂ©rents congrès, organisĂ© des Ă©coles thĂ©matiques et des rencontres scientifiques. Il contribue aussi Ă  la formation des Ă©tudiants et des personnels, notamment grâce Ă  ses Ă©coles thĂ©matiques. L’annĂ©e 2024 est annonciatrice d’une nouvelle dynamique pour cette communautĂ© avec le lancement cĂ´tĂ© recherche d’un Programme et Ă©quipements prioritaires de recherche, le PEPR MED-OOC (portĂ© par le CEA, le CNRS et l’Inserm). Au niveau industriel, un comitĂ© de structuration de filières a mis en Ă©vidence l’importance de dĂ©velopper une filière sur les organoĂŻdes et organes sur puce en France.

Qu’en est-il des perspectives apportées par les organoïdes sur puce ?

M. M : Cela fait très longtemps que nous essayons de connecter les organes ensemble, mais jusqu’à prĂ©sent, nous le faisions d’une manière primitive. C’est lĂ  qu’interviennent les organoĂŻdes sur puce dont l’idĂ©e est d’essayer de reproduire un système plus intĂ©grĂ© capable de mimer des fonctions biologiques plus complexes.

V. F : Ce support de culture est intĂ©ressant, car il permet de contrĂ´ler l’environnement physico-chimique des cellules en agissant, via des systèmes de microcanaux, sur les apports en Ă©lĂ©ments nutritifs dans le milieu de culture, par exemple. Il facilite aussi le suivi des fonctions biologiques Ă©tudiĂ©es. Ces technologies sont prometteuses, car elles permettent de se rapprocher d’autres domaines pour faire avancer des questions fondamentales en biologie. Nous sommes cependant encore loin de pouvoir reprĂ©senter toute la complexitĂ© du corps humain et ce n’est pas un objectif rĂ©aliste non plus. Chaque organe a plusieurs fonctions qui interagissent souvent entre elles. Non seulement nous ne savons pas encore reproduire l’intĂ©gralitĂ© de ces fonctions individuellement, mais nous ne savons probablement pas encore tout sur les capacitĂ©s de nos organes non plus.

Ces technologies sont prometteuses mais nous sommes encore
loin de pouvoir représenter toute la complexité du corps humain.

Un verrou souvent mis en avant concernant les organoïdes est la reproductibilité des résultats. Pouvez-vous nous expliquer?

M. M : Les organoĂŻdes sont des structures complexes dont le mode de production n’est pas toujours standardisĂ©. Le principe d’auto-organisation des cellules, par exemple, apporte une part d’alĂ©atoire qui fait que les organoĂŻdes, inter-individuellement, sont diffĂ©rents. Il y a donc une problĂ©matique de recherche plus large : comment faire un modèle organoĂŻde robuste ?

V. F : Standardiser, c’est aussi se mettre d’accord sur ce qu’on mesure pour qualifier les organoĂŻdes. Il s’agit d’un des enjeux du projet europĂ©en HYBRIDA auquel participent plusieurs membres du comitĂ© de pilotage du GDR et qui veut apporter un cadre rĂ©glementaire aux organoĂŻdes. L’enjeu est de rĂ©pondre Ă  cette question : pourquoi dit-on que l’organoĂŻde d’un laboratoire A est identique Ă  celui d’un laboratoire B ? Nous devons nous mettre d’accord sur les paramètres qui dĂ©finissent les organoĂŻdes.

Plusieurs industriels proposent Ă©galement des kits de fabrication en fournissant diffĂ©rents types de cellules, du milieu de culture assurant une bonne croissance des cellules, des supports adĂ©quats… Pour certains types d’organoĂŻdes, on peut arriver Ă  des rĂ©sultats satisfaisants. Cela montre que les mĂ©thodes d’obtention des organoĂŻdes deviennent de plus en plus robustes, aidant la science Ă  avancer dans ce domaine.

Coupe transversale d’organoïde intestinal humain possédant un système nerveux entérique après transplantation chez la souris, © Maxime Mahé/CCMH

La capacité de prédiction des organoïdes par rapport à ce qui est établi
chez les modèles in vivo en recherche clinique reste une question ouverte.

Comment les modèles organoïdes se positionnent-ils dans le paysage des modèles biologiques ?

M. M : Les organoïdes ont bien sûr ouverts de nouvelles portes. Il n’était pas possible d’étudier certaines pathologies rares sur des modèles animaux, par exemple. Les organoïdes offrent aussi un accès à de nouvelles connaissances, comme sur le développement du cerveau humain qui est très spécifique. Nous sommes encore dans une approche exploratoire qui vise à définir ces modèles et ce qu’ils vont nous apporter.

V. F: Les organoïdes offrent une certaine polyvalence en servant de support à des intérêts de recherche fondamentale et à des fins plus applicatives en médecine. Mais de nombreux tests sur animaux sont établis depuis longtemps et mieux caractérisés. Dans une démarche des 3R, les organoïdes nous permettent déjà de participer à la réduction et au raffinement des expériences. Toutefois, il faut rester modestes et admettre qu’ils ne peuvent pas remplacer le modèle animal aujourd’hui. On ne peut pas axer la science sur une intuition, il manque encore des preuves formelles des bénéfices apportés par les organoïdes.

Dans les années à venir, nous devrons donc fournir de gros efforts pour prouver que ces modèles sont à la hauteur des espoirs qui leur sont associés. Nous savons qu’à partir de modèles précliniques, incluant les tests sur l’animal, il y a un certain nombre d’échecs dans les premières ou deuxièmes phases d’essais cliniques. Nous espérons arriver à de meilleures prédictions chez l’humain grâce aux modèles organoïdes. Mais la capacité de prédiction des organoïdes par rapport à ce qui est établi chez les modèles in vivo en recherche clinique reste une question ouverte.

Dans une démarche des 3R, les organoïdes nous permettent déjà de participer
à la réduction et au raffinement des expériences.

Quelles sont les grandes questions et enjeux auxquels la communauté scientifique doit répondre pour faire avancer ces modèles ?

M. M : La première est d’accroĂ®tre les connaissances fondamentales de l’objet organoĂŻde en tant que tel. Par exemple, nous dĂ©veloppons des structures avec des fonctions biologiques majeures, mais nous n’allons pas dans la caractĂ©risation complète de ces modèles. C’est le problème de standardisation dont on vient de parler.

La seconde est de trouver d’autres moyens de conception. Est-ce que d’autres technologies vont nous apporter des rĂ©sultats plus reproductibles ? On peut penser Ă  de l’automatisation, Ă  des approches d’impression 3D, par exemple, mais aussi Ă  des mĂ©thodes de contrĂ´le de l’organisation cellulaire. C’est lĂ  qu’interviennent les approches liĂ©es Ă  la microfluidique avec les organes et organoĂŻdes sur puce en cours de dĂ©veloppement. Enfin, la structuration en 3D permet d’observer des fonctions biologiques difficilement modĂ©lisable en 2D. Cependant l’analyse d’un Ă©cosystème en 3D est moins Ă©vidente qu’en 2D, car jusqu’à prĂ©sent, la majoritĂ© des techniques ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es autour de modèles bidimensionnels. Nous devons aujourd’hui innover afin d’amĂ©liorer notre capacitĂ© d’analyse.

V. F: Plus spĂ©cifiquement, en France, les hĂ´pitaux disposent de centres de ressources biologiques dans lesquels les organoĂŻdes peuvent ĂŞtre conservĂ©s. Nous aimerions que ces ressources puissent profiter Ă  l’ensemble de la recherche fondamentale, clinique et industrielle française. Dans le cadre du GDR, nous sommes en train de mettre en place un catalogue rĂ©pertoriant tous les organoĂŻdes et les cellules disponibles dans ces centres (projet RIBBON – RĂ©seau national de plateformes de production et de biobanques d’organoĂŻdes). Autrement dit, nous voulons faciliter un partage de ressources qui se ferait de manière Ă©thique, afin d’éviter une marchandisation de ces Ă©lĂ©ments tout en faisant avancer la recherche.

Nous voulons faciliter un partage de ressources qui se ferait de manière éthique, afin d’éviter une marchandisation de ces éléments tout en faisant avancer la recherche.

Qu’en est-il justement des questions éthiques associées aux organoïdes ?

V. F : Les organoĂŻdes soulèvent des questions Ă©thiques nouvelles qui sont abordĂ©es dans le cadre du GDR. La question du consentement du donneur en est une. C’est un enjeu que de tenir compte des droits des patients et de leur volontĂ©, ou non, d’utiliser leurs cellules pour telle ou telle chose.

M. M : Plusieurs questions Ă©mergentes font leur apparition dans les mĂ©dias : les organoĂŻdes sont-ils des organes ? La rĂ©ponse est non. Il y a aussi eu un questionnement autour des organoĂŻdes cĂ©rĂ©braux : sont-ils douĂ©s d’une conscience ? Encore une fois, il est faux de penser que cela serait le cas. Ces dĂ©bats Ă©thiques restent importants, car ils nous permettent de qualifier les organoĂŻdes d’un point de vue moral. Ils nous aident Ă  dĂ©finir jusqu’oĂą on peut aller avec ces modèles.

Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor

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