Le poisson zĂšbre aide la recherche Ă percer les mystĂšres de la gĂ©nĂ©tique sous-jacente Ă lâautisme. Ce poisson tropical, qui ne dĂ©passe pas cinq centimĂštres Ă l’Ăąge adulte, est, Ă premiĂšre vue, bien Ă©loignĂ© de lâĂȘtre humain. Il est pourtant un modĂšle de choix dans lâĂ©tude de la gĂ©nĂ©tique et des mutations de lâADN. Pour en savoir plus, le Gircor a Ă©changĂ© avec Christelle Golzio, chercheuse Inserm Ă lâInstitut de gĂ©nĂ©tique et de biologie molĂ©culaire et cellulaire (IGBMC – CNRS/Inserm/UniversitĂ© de Strasbourg) et spĂ©cialiste de lâĂ©tude des variations gĂ©nĂ©tiques dans lâautisme.
Dans quel contexte sâintĂšgrent vos recherches et quel est leur objectif ?
Christelle Golzio : Lorsquâun enfant prĂ©sente des troubles autistiques ou une possible atteinte des fonctions cognitives, le clinicien demande un sĂ©quençage de son ADN afin dâen dĂ©terminer des causes gĂ©nĂ©tiques. Les technologies de sĂ©quençage identifient trĂšs bien les variations de lâADN, il peut sâagir de variations ponctuelles impliquant une base de lâADN ou des rĂ©arrangements de grande taille impliquant des larges fragments de chromosomes. Les cliniciens classifient ces variations selon la causalitĂ© probable de la variation gĂ©nĂ©tique dans lâapparition de la maladie du patient. Dans certains cas, lâinterprĂ©tation de ces variations identifiĂ©es reste difficile et câest, dans ce cadre-lĂ , quâinterviennent les recherches menĂ©es dans mon laboratoire.
Nous utilisons des modĂšles animaux, dont le poisson zĂšbre, afin de modĂ©liser les variants gĂ©nĂ©tiques repĂ©rĂ©s chez les patients et de dĂ©terminer sâils ont un effet dĂ©lĂ©tĂšre sur la fonction du gĂšne ou non. Nos travaux visent Ă la fois Ă identifier des gĂšnes responsables de traits autistiques et Ă caractĂ©riser en dĂ©tail comment ils participent au dĂ©veloppement du cerveau et dâautres organes lors du dĂ©veloppement fĆtal.
En apparence, le modĂšle de poisson zĂšbre est assez Ă©loignĂ© de lâhumain. En quoi est-il particuliĂšrement adaptĂ© aux questions que vous vous posez sur lâautisme ?
CG : Ce modĂšle prĂ©sente plusieurs avantages. Le principal est que 70 % des gĂšnes sont conservĂ©s entre le poisson zĂšbre et lâhumain, ce qui est trĂšs important ! Cela nous permet de faire des modĂ©lisations de pathologies humaines sur un organisme entier et donc dâĂ©tudier de nombreux phĂ©notypes, c’est-Ă -dire les traits observables d’un organisme quâils soient anatomiques, physiologiques, molĂ©culaires ou comportementaux.
Un autre avantage est que la croissance de ce poisson se fait Ă lâextĂ©rieur du corps de la femelle. Celle-ci produit des centaines dâĆufs par ponte qui sont fertilisĂ©s dans lâeau par le sperme du mĂąle. Les observations des stades de dĂ©veloppement larvaire, en particulier la formation du cerveau, se font donc ex utero. La transparence des larves facilite, Ă leur tour, lâutilisation de mĂ©thodes dâimagerie non-invasive. De plus, le dĂ©veloppement du poisson zĂšbre est trĂšs rapide. Ă cinq jours de vie, les larves ont dĂ©jĂ un systĂšme nerveux complĂštement fonctionnel et la majoritĂ© de leurs organes sont formĂ©s.
Quelles manifestations de lâautisme Ă©tudiez-vous en particulier sur ce modĂšle ?
CG : Nous suivons plusieurs manifestations de lâautisme Ă commencer par lâimpact de mutations sur le dĂ©veloppement du cerveau. Pour cela, nous comparons des larves modifiĂ©es gĂ©nĂ©tiquement Ă des larves de poisson zĂšbre « sauvage ». Nos observations par imagerie suivent le devenir de progĂ©niteurs neuronaux, câest-Ă -dire les cellules Ă lâorigine de la formation des neurones. Lâobjectif est de sâassurer quâelles se divisent correctement, quâelles nâentrent pas en mort cellulaire, quâelles se diffĂ©rencient bien en neurones, etc. Nous suivons Ă©galement la distribution des neurones dans les diffĂ©rentes rĂ©gions du cerveau. Cela peut paraĂźtre surprenant, mais le poisson zĂšbre possĂšde un cerveau assez organisĂ©. Bien que le cerveau du poisson zĂšbre ne prĂ©sente pas de gyration comme chez lâhumain, il prĂ©sente toutes les structures cĂ©rĂ©brales essentielles pour la motricitĂ©, lâidentification de signaux sensoriels, lâapprentissage et la mĂ©moire, qui sont Ă©quivalentes Ă celles de lâhumain.
Nous rĂ©alisons Ă©galement des tests de comportement sur la larve ou le jeune poisson adulte. En effet, cet animal vit en banc, il est donc de nature trĂšs sociable. Au cours de nos expĂ©riences, nous nous intĂ©ressons Ă lâorganisation sociale dans les aquariums : est-ce que les bancs sâorganisent normalement ? Y a-t-il des dĂ©fauts de sociabilitĂ© ou la prĂ©sence dâagressivitĂ©Â ? Ces recherches servent Ă caractĂ©riser les consĂ©quences de mutations de gĂšnes dâautisme sur le plan cognitif.
Le poisson zĂšbre permet-il Ă©galement dâĂ©tudier les co-morbiditĂ©s de lâautisme, c’est-Ă -dire les atteintes sur dâautres organes que le cerveau ?
CG : Oui, complĂštement. Entre 70 et 80 % des formes dâautisme sont dites syndromiques, ce qui signifie quâil y a des atteintes sur dâautres organes. On observe en particulier des effets sur le systĂšme nerveux entĂ©rique qui entraĂźne des troubles gastro-intestinaux. Lâintestin est considĂ©rĂ© comme notre deuxiĂšme « cerveau », car il dispose lui aussi des neurones. GrĂące au poisson zĂšbre, nous Ă©tudions justement comment des mutations gĂ©nĂ©tiques affectent la façon dont les neurones se forment et colonisent le systĂšme digestif.
Une de nos expĂ©riences consiste, par exemple, Ă faire ingĂ©rer des billes fluorescentes Ă des larves et de les suivre le long du tractus intestinal. LâidĂ©e est de dĂ©tecter dâĂ©ventuels blocages synonymes dâune diminution de la motilitĂ© de lâintestin qui se manifeste par des phases de constipation sĂ©vĂšres, des diarrhĂ©es, etc.
Une fois que lâimpact fonctionnel des gĂšnes est dĂ©montrĂ© chez lâanimal, quelle est lâĂ©tape suivante ?
CG : Une fois le gĂšne et son impact identifiĂ©s, on va vouloir corriger certains phĂ©notypes. Ă nouveau, le poisson zĂšbre est un trĂšs bon modĂšle, car il nous permet de tester rapidement lâeffet de plusieurs dizaines de drogues en mĂȘme temps. Celles-ci peuvent ĂȘtre directement dissoutes dans lâeau et lâon peut observer facilement si elles amĂ©liorent le dĂ©veloppement du cerveau et/ou attĂ©nuent certains comportements chez la larve de poisson zĂšbre. Les traitements les plus prometteurs peuvent ensuite ĂȘtre testĂ©s dans un modĂšle mammifĂšre comme la souris. En ce sens, les premiĂšres Ă©valuations sur les larves de poisson zĂšbre contribuent Ă rĂ©duire le nombre de mammifĂšres utilisĂ©s lors des phases de validation de drogues et donc de se conformer Ă la rĂšgle des 3R.
Pour rĂ©duire davantage lâutilisation de la souris, il est aussi possible de poursuivre les analyses sur des modĂšles organoĂŻdes. Ces modĂšles in vitro sont dĂ©veloppĂ©s Ă partir de cellules humaines obtenues Ă lâaide de biopsies de peau ou de prĂ©lĂšvements sanguins. Les cellules sont ensuite reprogrammĂ©es en cellules souches qui vont sâorganiser pour former un organe miniature simplifiĂ©, le cerveau ou lâintestin par exemple. Les travaux actuels sur ces organoĂŻdes humains sont trĂšs prometteurs. Toutefois, les donnĂ©es acquises sur lâanimal restent aujourdâhui essentielles pour caractĂ©riser les bases molĂ©culaires des maladies gĂ©nĂ©tiques et identifier des drogues qui pourront, dans lâavenir, intĂ©grer des programmes dâessais thĂ©rapeutiques.
Comment vos découvertes se répercutent-elles en définitif sur la prise en charge des patients ?
CG : Ces dĂ©couvertes impacte positivement la prise en charge des patients et permettent dâamĂ©liorer le diagnostic mĂ©dical. En sâappuyant sur des donnĂ©es fonctionnelles obtenues grĂące aux animaux modĂšles, les praticiens de santĂ© peuvent mieux renseigner les familles sur les causes gĂ©nĂ©tiques de leurs maladies et leur indiquer si des atteintes dâautres organes sont Ă prĂ©voir comme les atteintes intestinales pour certaines formes dâautisme. Les patients et leurs familles sont ainsi mieux informĂ©s et la prise en charge des jeunes patients est amĂ©liorĂ©e.
Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor
Crédits photo : Dr. Marie-Laure Durand