Le contrĂ´le de la qualitĂ© de certains vaccins requiert des analyses in vivo afin de vĂ©rifier l’innocuitĂ© et l’efficacitĂ© de chaque lot de vaccin avant leur commercialisation. Mais c’est loin d’être la seule approche adoptĂ©e par les industriels. Sanofi Vaccins dĂ©veloppe – en interne et au sein de consortiums europĂ©ens – des mĂ©thodes alternatives permettant de remplacer, rĂ©duire et raffiner l’usage des modèles animaux. Entretien avec Emmanuelle Coppens, coordinatrice du programme 3R chez Sanofi vaccins, sur les avancĂ©es de ces approches et leurs limites.
Vous travaillez au sein du département recherche et développement de Sanofi Vaccins où vous coordonnez le programme 3R lors des phases de contrôle qualité des vaccins produits par l’entreprise. Pouvez-vous nous présenter cette démarche et la façon dont les animaux sont utilisés dans le cadre de vos activités ?
Emmanuelle Coppens : Notre démarche consiste à appliquer le principe des 3R dans toutes ses dimensions sur le contrôle qualité de vaccins en développement et déjà commercialisés. À ce titre, nous mettons en œuvre la suppression de tests, le raffinement avec des approches moins invasives et utilisant moins d’animaux et le remplacement grâce au développement de méthodes substitutives.
En ce qui concerne les nouveaux vaccins, notre stratĂ©gie est de ne pas avoir recours Ă l’animal de laboratoire en dehors des phases prĂ©cliniques. Pour les vaccins dĂ©jĂ commercialisĂ©s, de nombreux essais sur animaux ont Ă©tĂ© supprimĂ©s, mais ils sont nĂ©anmoins encore utilisĂ©s pour certains afin de vĂ©rifier l’innocuitĂ© et l’efficacitĂ© de chaque lot. Ainsi, le modèle animal a Ă©tĂ© totalement remplacĂ© pour les tests d’activitĂ© des vaccins contre les hĂ©patites A et B et les infections Ă Haemophilus influenzae de type b et c’est en cours pour les vaccins contre la rage et la poliomyĂ©lite. Nous avons Ă©galement rĂ©duit l’utilisation d’animaux et raffinĂ© nos approches sur les combinaisons vaccinales pĂ©diatriques qui contiennent les valences DTP – diphtĂ©rie, tĂ©tanos, pertussis (coqueluche). Nous avons Ă©galement une dĂ©marche de suppression des tests d’innocuitĂ© non justifiĂ©s, car redondants ou scientifiquement contestables, tels que le test de toxicitĂ© anormale. Notre ambition, Ă terme, est de ne plus avoir du tout recours Ă l’animal pour l’ensemble de ces Ă©valuations. Il s’agit bien entendu d’un travail en cours et cela prendra encore de nombreuses annĂ©es.
Sanofi Vaccins a ainsi mis en place plusieurs méthodes alternatives au modèle animal. Quelles sont-elles et comment se distinguent-elles de méthodes « classiques » ?
EC : En effet, entre 2015 et 2021, nous avons diminué de plus de 50 % l’usage d’animaux pour le contrôle qualité de nos vaccins. Les tests d’activité in vitro, mentionnés ci-dessus, consistent à mesurer la quantité d’antigène actif responsable de la réponse immunitaire par des méthodes immunochimiques ou physicochimiques au lieu de vérifier cliniquement ou par la mesure d’anticorps l’immunité induite chez l’animal par ce même antigène.
Lorsqu’une approche in vitro n’est pas encore disponible, nous avons mis en place une mĂ©thode sĂ©rologique basĂ©e sur la quantification des anticorps produits après immunisation et non basĂ©e sur l’observation de signes cliniques. En particulier, pour les combinaisons vaccinales pĂ©diatriques, nous avons dĂ©veloppĂ© un test sĂ©rologique unique permettant de tester en parallèle dans un seul et mĂŞme test, sur un seul groupe d’animaux, tous les composants (diphtĂ©rie, tĂ©tanos, pertussis). Cela permet une rĂ©duction substantielle du nombre d’animaux utilisĂ©s en plus de la suppression des signes cliniques induits par l’injection de l’agent pathogène. D’autres analyses alternatives pour l’évaluation de la toxicitĂ© s’appliquent Ă certains antigènes, notamment pour les vaccins DTP, oĂą le recours Ă des essais sur cultures de lignĂ©es cellulaires a remplacĂ© la dĂ©tection de toxine in vivo.
Nous avons Ă©galement adoptĂ©, lorsque nĂ©cessaire, une recherche de substances pyrogènes en plus du test de dosage des endotoxines, c’est le test alternatif dit d’activation des monocytes (MAT) qui peut remplacer le test pyrogène sur les lapins. Ce dernier consiste Ă mesurer l’Ă©lĂ©vation de la tempĂ©rature chez l’animal suite Ă l’injection d’un produit. Le test MAT propose une alternative in vitro basĂ©e sur un modèle cellulaire qui permet de dĂ©tecter tous types de pyrogènes (substances qui entraĂ®nent de la fièvre), en reproduisant la rĂ©action humaine.
Sanofi Vaccins participe activement à des consortiums européens pour favoriser le développement de nouvelles approches sans animaux. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ? Ces collaborations facilitent-elles l’implémentation de nouvelles méthodes à grande échelle ?
EC : Participer Ă des consortiums internationaux et Ă des projets collaboratifs europĂ©ens est un volet important dans le cadre du dĂ©veloppement et de l’acceptation des mĂ©thodes alternatives. Nous avons ainsi participĂ© au projet europĂ©en VAC2VAC1 – rĂ©unissant des acteurs publics et privĂ©s – qui s’est achevĂ© en fĂ©vrier dernier. En ressortent : des approches in vitro d’évaluation de l’efficacitĂ© des vaccins D,T,P que nous sommes en train de dĂ©ployer en remplacement des tests existants sur souris et cobaye. Dans le cadre de l’EPAA (Partenariat europĂ©en pour des approches alternatives Ă l’expĂ©rimentation animale)2 – une collaboration entre des industriels de diffĂ©rents secteurs (pharmacie, chimie, etc.) et la Commission europĂ©enne – nous dĂ©veloppons une mĂ©thode ELISA (test d’activitĂ© in vitro) en vue de remplacer le test d’activitĂ© sur souris pour le vaccin rabique.
Faire partie de projets internationaux accélère les étapes de validation de méthodes alternatives. Ces programmes génèrent davantage de données multi-laboratoires, ce qui assure l’exploitabilité de la méthode qui n’est pas uniquement validée sur nos vaccins, par exemple. Néanmoins, il faut parfois compter des délais de plus de 25 ans entre les premiers développements, l’acceptation par toutes les agences réglementaires et l’adoption en routine d’une nouvelle pratique. La difficulté principale demeure son acceptation réglementaire au niveau international en tant qu’alternative.
Ces méthodes sont-elles plus facilement acceptées en Europe que dans le reste du monde ?
EC : En tant qu’industriel global, nous notons d’importantes différences entre l’Europe et le reste du monde quant à l’application des 3R. En Europe, un programme est en place depuis plusieurs années au niveau de la Pharmacopée européenne3 qui soutient l’intégration progressive d’approches alternatives. Comme mentionné, des financements soutiennent également ces développements. Grâce à cette ouverture d’esprit, nous pouvons proposer les alternatives que nous développons en interne sur nos produits pour que d’autres puissent se les approprier et ainsi asseoir la reconnaissance et l’intégration dans les textes règlementaires de ces méthodes.
Toutefois, c’est plus compliqué de faire accepter de nouveaux modèles en dehors de l’Europe. La notion de 3R n’est pas partagée avec la même priorité. Seul le bien-être animal est mentionné dans la législation. Cela signifie qu’il n’y a pas d’exigences réglementaires, ni de cadre qui impose de diminuer et de remplacer le modèle animal. Il y a donc un important travail de communication et d’éducation à faire auprès de nos partenaires et interlocuteurs internationaux pour leur expliquer en quoi consistent nos démarches 3R et légitimer la validité scientifique et l’usage de méthodes alternatives.
Quels freins réglementaires ralentissent l’adoption de ces approches à grande échelle ?
EC : Il y a un manque d’harmonisation globale lors des phases d’évaluations nécessaires à l’autorisation de distribution des vaccins. Avant qu’un lot de vaccin ne soit mis sur un marché, il doit subir différentes évaluations. Nous avons des cas où un même lot de vaccin subit de multiples tests : par le fabricant et l’autorité du pays de fabrication, puis par le fabricant dans les pays d’importation et par les différentes autorités nationales. Or, ces tests sont redondants et n’apportent rien à la vérification de la qualité des vaccins. Par contre, ils utilisent un grand nombre d’animaux et allongent fortement la mise à disposition des vaccins. De plus, la multiplicité de ces tests in vivo favorise l’obtention de résultats discordants entre le fabricant et les autres laboratoires qui n’utilisent pas forcément la même méthode.
Par ailleurs, pour faire adopter de nouvelles mĂ©thodes, il faut dĂ©poser des variations rĂ©glementaires qui doivent ĂŞtre acceptĂ©es pays par pays – ou rĂ©gion par rĂ©gion. Cela prend environ quatre ans sur un marchĂ© Ă grande Ă©chelle. Dans les deux cas que je viens de mentionner, nous travaillons avec les autoritĂ©s de santĂ© afin de favoriser des processus de reconnaissance mutuelle. L’objectif est de faire en sorte que certaines autoritĂ©s s’appuient sur les Ă©valuations et les validations que d’autres ont pu rĂ©aliser. Cela permettra d’accĂ©lĂ©rer les mises en application de mĂ©thodes alternatives et de limiter l’usage de tests sur animaux.
Est-ce que les méthodes développées par Sanofi Vaccins pourraient être transférées aux autres acteurs de cette chaîne de vérification afin de réduire l’utilisation d’animaux à plus grande échelle et les délais d’attente ?
EC : Oui ! D’autant que pour le moment, certains laboratoires nationaux poursuivent les analyses avec des méthodes que nous considérons obsolètes et pour lesquelles nous avons déjà adopté des alternatives. Par exemple, des tests d’évaluation dits de challenge consistant à immuniser des animaux et à leur injecter un pathogène afin de regarder dans quelle mesure ils sont protégés. Ces tests sont très délétères. Notre approche s’appuie, au contraire, sur la détection d’anticorps, via des tests sérologiques. Cependant, la complexité de ces analyses freine leur démocratisation. Notre objectif est donc de simplifier ces tests à l’aide de méthodes in vitrotoujours aussi performantes, mais qui faciliteraient leur acceptation par les laboratoires nationaux tels que les tests ELISA. Cela engendrerait une réduction du recours aux animaux de laboratoire dans le secteur du vaccin et pas seulement au sein de nos laboratoires.
Existe-t-il néanmoins des analyses sur le contrôle qualité des vaccins pour lesquels le recours aux animaux demeure essentiel ?
EC : Aujourd’hui il reste encore certains tests qui n’ont pas encore d’alternative acceptable. Par exemple, des examens de toxicité tels que la détection de toxines résiduelles pour lesquels aucune méthode de remplacement n’a apporté le même niveau de sensibilité que celles sur animaux. C’est une exigence réglementaire incontournable : nous devons démontrer qu’une méthode alternative est, au moins aussi performante que l’approche in vivo pour qu’elle soit adoptée.
Enfin, des animaux servent encore à des tests d’activité de vaccins. Il serait possible d’y remédier en changeant de paradigme quant à la façon dont est évaluée l’efficacité. Au lieu de le faire sur un organisme entier et observer une réponse immunitaire globale, il est possible de cibler des caractéristiques du produit impliquées dans l’activité biologique de l’antigène ou du produit en question. Nous essayons également de promouvoir cette nouvelle façon de faire auprès des différentes autorités.
Emmanuelle Coppens est une employée de Sanofi et, à ce titre, peut être détentrice d’actions dans la compagnie.
Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor
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