Le cerveau est un des organes les plus complexes, tant par ses fonctions que sa composition. SiĂšge de la mĂ©moire et de l’apprentissage, il est aussi au cĆur de notre activitĂ© motrice et de la perception. Pour percer ses mystĂšres, les neurosciences ont recours Ă des essais cliniques, mais Ă©tudient aussi diffĂ©rents modĂšles animaux, cellulaires et informatiques. Lesquels et Ă quelles fins ? ĂlĂ©ments de rĂ©ponse Ă lâoccasion du colloque NeuroFrance 2023 avec Annie Andrieux, prĂ©sidente de la SociĂ©tĂ© des Neurosciences* et chercheuse au laboratoire Grenoble Institut des Neurosciences* et Anne Didier, professeur en neurosciences de lâUniversitĂ© Claude Bernard Lyon 1*.
Ce
qu'il
faut
retenir
- Les neurosciences visent Ă comprendre le fonctionnement du systĂšme nerveux et du cerveau.
- Elles sâappuient sur des modĂšles animaux « classiques » (rongeurs, primates non humain) et atypiques tels que les vers, les mouches, les abeilles, les seiches, les oiseaux ou encore diffĂ©rents poissons.
- Des modÚles in vitro, in silico, des organoïdes de cerveau et des expériences dans la nature et en laboratoire apportent des connaissances complémentaires.
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Quels sont les objectifs des recherches en neurosciences ?
Annie Andrieux : Nous essayons de comprendre le fonctionnement du systĂšme nerveux et en particulier du cerveau. Les neurosciences sont, par essence, multidisciplinaires et rĂ©unissent des chercheurs qui sâintĂ©ressent autant Ă la comprĂ©hension biologique que psychologique du cerveau, mais aussi des spĂ©cialistes de lâimagerie, de la gĂ©nĂ©tique, etc. Ces recherches sâattaquent Ă tous les phĂ©nomĂšnes liĂ©s au systĂšme nerveux : le sommeil, la perception, le mouvement, le stress, lâapprentissage, lâaddiction et bien dâautres. Elles portent Ă©galement sur des pathologies et nous aident alors Ă comprendre ce qui dysfonctionne au niveau cĂ©rĂ©bral.
Anne Didier : Cette diversitĂ© tient au fait que les enjeux sont multi-Ă©chelles. Ils visent aussi bien Ă la comprĂ©hension du fonctionnement du cerveau quâĂ sa structure. Plus globalement, nous essayons de relier des mĂ©canismes cellulaires et molĂ©culaires au comportement. Cette diversitĂ© dâĂ©chelles et de problĂ©matiques requiert une multitude de modĂšles adaptĂ©s Ă chaque question.
Le modĂšle animal fait partie intĂ©grante dâune continuitĂ© de modĂšles qui commence par lâĂ©tude dâinteractions entre des molĂ©cules Ă lâaide de modĂšles in vitro.
Quels sont les principaux modÚles animaux impliqués dans les recherches sur le cerveau et à quelle fin ?
AA : Dans notre discipline, le modĂšle animal fait partie intĂ©grante dâune continuitĂ© de modĂšles qui commence par lâĂ©tude dâinteractions entre des molĂ©cules Ă lâaide de modĂšles in vitro. Dâautres hypothĂšses sont testĂ©es sur des organismes de plus en plus complexes, dont les animaux, avant dâatteindre lâhumain.
AD : Chaque modĂšle animal prĂ©sente des avantages et des inconvĂ©nients qui dĂ©terminent pour quels types de recherches il sera le plus pertinent. Les modĂšles majoritaires sont les rongeurs utilisĂ©s dans une grande diversitĂ© de travaux notamment en lien avec le comportement. Par exemple, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que lorsquâune souris apprend une nouvelle tĂąche, cela entraĂźne un remodelage des neurones de son hippocampe, la partie du cerveau impliquĂ©e dans la mĂ©moire. Dâautres modĂšles, peut ĂȘtre plus inattendus, sont aussi trĂšs utiles. Par exemple, le poisson zĂšbre est transparent. Il est donc privilĂ©giĂ© pour les Ă©tudes liĂ©es Ă lâimagerie de lâactivitĂ© des neurones, afin de suivre le dĂ©veloppement ou la plasticitĂ© en direct au sein du cerveau. Les mouches se reproduisent trĂšs vite et sont facilement manipulables gĂ©nĂ©tiquement. Elles sont ainsi adaptĂ©es aux Ă©tudes Ă lâĂ©chelle molĂ©culaire. Le ver Caenorhabditis elegans est un nĂ©matode dont le nombre et la position des neurones sont bien connus. Il peut servir Ă des Ă©tudes trĂšs prĂ©cises liant la gĂ©nĂ©tique et lâĂ©tude du systĂšme nerveux.
AA : Il y a Ă©galement des gros animaux comme les singes qui ont permis dâapporter dâimportantes dĂ©couvertes en neurostimulation. Cette mĂ©thode thĂ©rapeutique consiste Ă stimuler des zones du cerveau afin de traiter certaines pathologies cĂ©rĂ©brales comme la maladie de Parkinson, lâĂ©pilepsie ou la dĂ©pression. La dĂ©couverte de neurones miroirs a aussi Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e sur des singes avant dâĂȘtre confirmĂ©e chez lâHomme. Ces neurones sâactivent lorsque nous observons quelquâun dâautre faire une action. Les primates sont gĂ©nĂ©ralement pertinents pour des Ă©tudes fondamentales et prĂ©cliniques et lorsquâun traitement doit ĂȘtre rapidement transfĂ©rĂ© Ă lâHomme. Enfin, les cochons sont utilisĂ©s en recherche sur les interfaces neuronales â des systĂšmes de communication entre le cerveau et un ordinateur notamment – car ces animaux ont un cerveau de la mĂȘme taille que le nĂŽtre.
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Quelles sont les méthodes alternatives les plus prometteuses ?
AD : Les organoĂŻdes cĂ©rĂ©braux gĂ©nĂ©rĂ©s Ă partir de cellules souches sont en plein essor. Ils prĂ©sentent notamment un intĂ©rĂȘt potentiel pour la recherche menĂ©e sur les animaux, y compris les singes sur le dĂ©veloppement de techniques de manipulation de lâactivitĂ© neuronale Ă lâaide de vecteurs viraux. Câest le principe de la thĂ©rapie gĂ©nique : un gĂšne codant une protĂ©ine photosensible est introduit au sein dâune cellule et activĂ© sous lâeffet de la lumiĂšre. Dans ce cadre, les organoĂŻdes pourraient ĂȘtre utilisĂ©s lors dâexpĂ©riences prĂ©liminaires dâĂ©valuation de lâexpression de ces vecteurs viraux et permettraient ainsi de rĂ©duire le nombre dâanimaux. Ils servent aussi sur des questions dâorganisation et de formation des synapses â les zones dâinteractions entre deux neurones. Cependant, les organoĂŻdes ne permettent pas de remplacer lâanimal dans les expĂ©rimentations Ă lâheure actuelle dĂšs quâil sâagit de relier des Ă©vĂšnements cellulaires au comportement.
AA : Par ailleurs, les modĂšles computationnels, c’est-Ă -dire les simulations informatiques se dĂ©veloppent. Ils permettent de tester un grand nombre dâhypothĂšses afin de mieux cibler les plus Ă mĂȘme de rĂ©ussir. Ils peuvent aider Ă identifier des bio-marqueurs de maladies cĂ©rĂ©brales et nous orienter vers de la mĂ©decine personnalisĂ©e chez lâĂȘtre humain. Des dĂ©marches transnationales de partage de donnĂ©es et de protocoles visent en ce sens Ă dĂ©multiplier la puissance des rĂ©sultats et leur exploitation. Mieux exploiter les donnĂ©es captĂ©es permettra dâavancer plus vite dans nos recherches et de limiter le recours aux animaux sur le long terme.
Il ne sera jamais possible de faire une Ă©tude de comportement sur un organoĂŻde.
Quâen est-il des difficultĂ©s Ă transposer les rĂ©sultats obtenus sur ces diffĂ©rents modĂšles vers lâhumain ?
AD : Câest une vraie problĂ©matique. Ces derniĂšres annĂ©es, un dĂ©bat a eu lieu Ă propos de lâexpĂ©rimentation sur la souris autour de la maladie dâAlzheimer, au point de remettre entiĂšrement en cause lâintĂ©rĂȘt de ce modĂšle. En fait, des traitements qui fonctionnaient bien chez lâanimal nâont rien donnĂ© chez lâhumain. Ces Ă©checs tiennent sans doute Ă plusieurs raisons. Une partie de la responsabilitĂ© tient de la communautĂ© des chercheurs qui parfois nâintĂšgre pas suffisamment le fait que les modĂšles murins des pathologies humaines ne reproduisent que partiellement la pathologie. Surtout pour des maladies liĂ©es au vieillissement, car lâĂ©chelle de temps est peu compatible avec le dĂ©veloppement au long cours de la pathologie (une souris vit en moyenne 2 ans). Il existe aussi une barriĂšre dâespĂšce qui peut expliquer en partie la difficultĂ© Ă transposer certaines donnĂ©es de lâanimal Ă lâhumain. NĂ©anmoins, il est important de noter que si la recherche sur les modĂšles animaux nâapporte pas forcĂ©ment un traitement sur mesure, lâensemble des connaissances acquises grĂące Ă ces modĂšles est crucial pour la comprĂ©hension de nombreux processus pathogĂšnes, y compris la maladie dâAlzheimer. Il ne faut vraiment pas lâoublier.
AA : Le danger actuel est que les extrapolations faites sur les modĂšles de souris pour la maladie dâAlzheimer sont en train de se reproduire avec les organoĂŻdes. Ces derniers sont souvent prĂ©sentĂ©s comme rĂ©volutionnaires au point de remplacer totalement lâanimal, mais ce nâest pas vrai. Il ne sera jamais possible de faire une Ă©tude de comportement sur un organoĂŻde. En revanche, ils sont complĂ©mentaires au modĂšle animal. De façon gĂ©nĂ©rale, la prĂ©dictibilitĂ© des modĂšles, peu importe leur nature, a toujours Ă©tĂ© et reste une grande question difficile Ă manĆuvrer. Les interrogations quâelle engendre nĂ©cessitent davantage de connaissances, ce qui justifie lâintĂ©rĂȘt des recherches menĂ©es actuellement sur lâensemble de ces modĂšles.
Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor
* : La SociĂ©tĂ© des neurosciences organise la communautĂ© des neuroscientifiques français et se trouve Ă lâinterface entre recherche et grand-public. Elle organise notamment chaque annĂ©e la semaine du cerveau, ainsi que le colloque bisannuel NeuroFrance.
Le laboratoire Grenoble Institut des Neurosciences est un centre de recherche de lâInserm/UniversitĂ© Grenoble Alpes/CEA/CHU de Grenoble.
Anne Didier est rattachée au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS/Inserm).