đŸŽ™ïž Organe-sur-puce : un modĂšle expĂ©rimental de la taille d’un domino

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Xavier Gidrol ©CEA

Les organes et organoĂŻdes sur puce rĂ©volutionnent des domaines allant de la recherche fondamentale Ă  l’industrie pharmaceutique tout en ouvrant de nouvelles pistes pour la mĂ©decine rĂ©gĂ©nĂ©rative. Leurs particularitĂ©s ? Ils miment des fonctions de notre corps et se rapprochent de la rĂ©alitĂ© physiologique de nos organes. Ces dispositifs de petite taille permettent ainsi de suivre l’impact de maladies et de traitements sur diverses fonctions biologiques de notre corps. Pour en savoir plus, le Gircor s’est entretenu avec Xavier Gidrol, responsable du Service de biologie Ă  grande Ă©chelle du CEA.

Qu’est-ce qu’un organe sur puce (organ-on-a-chip en anglais) ?

Xavier Gidrol : En rĂ©alitĂ©, un organe sur puce ne ressemble pas du tout Ă  un organe ! Il s’agit plutĂŽt d’un systĂšme comparable Ă  un domino en thermoplastique ou en silicium. Ces technologies s’appuient sur la microfludique et servent de support Ă  la culture de cellules qui vont mimer une fonction physiologique d’un organe (respiration, sĂ©crĂ©tion d’hormones, vascularisation, etc.). Le premier modĂšle, un poumon sur puce – mis au point en 2010 par des chercheurs de l’UniversitĂ© d’Harvard aux États-Unis – l’illustre bien. 

Cette expĂ©rience reproduisait la fonction d’une alvĂ©ole pulmonaire qui transfĂšre l’oxygĂšne de l’air vers le sang. Le dispositif se composait de deux canaux microfluidiques permettant de faire circuler des fluides Ă  trĂšs petite Ă©chelle et qui Ă©taient sĂ©parĂ©s par une membrane. D’un cĂŽtĂ© de la puce, se trouvaient une couche de cellules Ă©pithĂ©liales de poumon en contact avec de l’air et de l’autre, une couche de cellules endothĂ©liales de veines dans un liquide. Sur le cĂŽtĂ©, des dispositifs Ă©tiraient cette membrane pour mimer les actions d’inspiration et d’expiration. Le systĂšme a bien permis de reproduire la respiration d’une alvĂ©ole pulmonaire, mais il ne ressemblait pas du tout Ă  un poumon.

Organe sur puce ©CEA

Pourquoi cibler une fonction physiologique particuliĂšre ? Est-il possible d’étudier les interactions entre plusieurs fonctions ?

XG : Certains organes ont plusieurs fonctions. C’est le cas du pancrĂ©as qui sĂ©crĂšte de l’insuline et du glucagon, deux hormones qui rĂ©gulent le taux de sucre dans notre sang (fonction endocrine). Mais il synthĂ©tise aussi des sucs digestifs envoyĂ©s vers le cĂŽlon pour aider Ă  la digestion (fonction exocrine). Cibler une fonction en particulier et non l’organe entier, nous permet d’étudier en dĂ©tails comment une maladie va l’altĂ©rer ou comment un traitement pourra la restaurer.

Toutefois, il est possible de connecter plusieurs fonctions sur une mĂȘme puce. Au sein de notre Ă©quipe, nous nous intĂ©ressons, entre autres, au cancer du pancrĂ©as. Comme il est difficile Ă  diagnostiquer, les organes sur puce nous aident Ă  identifier des marqueurs biologiques de diagnostic prĂ©coce. Pour cette recherche, il est par exemple intĂ©ressant de dĂ©terminer si le cancer du pancrĂ©as et le diabĂšte qui altĂšrent diffĂ©remment le mĂȘme organe peuvent s’influencer mutuellement ou non, et si oui, comment.

Des capteurs de mesure se dĂ©veloppent Ă©galement pour les organes sur puce. Comment cela fonctionne et quelles informations supplĂ©mentaires apportent-ils ?

XG : Les puces sont gĂ©nĂ©ralement en thermoplastique. Mais il en existe aussi en silicium – largement utilisĂ©es en Ă©lectronique – qui mesurent des courants Ă©lectriques et offrent un bon support Ă  tous types de capteurs. En mariant les deux technologies, on peut mettre en place des systĂšmes de mesures de fonctions biologiques (respiration, production d’insuline, etc.) au plus prĂšs des cellules. Ces nouvelles donnĂ©es servent au suivi temporel de la vitalitĂ© et de l’efficacitĂ© des fonctions physiologiques au sein de la puce. Cependant, l’intĂ©gration de capteurs n’en est qu’à ses balbutiements.

LangerhanoĂŻde (organoĂŻde d’ülots pancrĂ©atiques) vascularisĂ© ©CEA

Pour aller plus loin et se rapprocher de la rĂ©alitĂ© du corps humain, il est possible de placer non plus des « organes Â», mais des organoĂŻdes sur puce. Quelle est la diffĂ©rence ?

XG : Les organoĂŻdes sont d’autres modĂšles dĂ©veloppĂ©s en laboratoire. Contrairement Ă  la biologie cellulaire gĂ©nĂ©ralement Ă©tudiĂ©e en deux dimensions dans des tubes Ă  essai, les organoĂŻdes sont dĂ©veloppĂ©s Ă  partir de cellules-souches mises en culture au sein d’une substance appelĂ©e hydrogel. Ils s’y auto-organisent en trois dimensions et se diffĂ©rencient. Autrement dit, ces cellules se spĂ©cialisent en vue d’accomplir une fonction (cellule sanguine, nerveuse, musculaire, etc.) spĂ©cifique de l’organe Ă©tudiĂ©. LĂ  oĂč un organe sur puce permet simplement de mimer une fonction, l’organoĂŻde est, quant Ă  lui, une structure multicellulaire complexe plus proche de la rĂ©alitĂ© physiologique ou de la micro-anatomie du vĂ©ritable organe. 

Quelles sont les principaux atouts des organes et organoĂŻdes sur puce pour la recherche fondamentale comparĂ©e Ă  d’autres modĂšles existants ?

XG : Contrairement aux cultures de cellules en conditions statiques, la culture de cellules ou d’organoĂŻdes sur puce permet de vasculariser, d’imposer un flux et donc de mimer l’irrigation du sang vers les organes. En Ă©tant plus proches de la physiologie humaine, ces modĂšles pallient aussi certaines limites des modĂšles animaux. En effet, plusieurs organes diffĂšrent totalement entre l’animal et l’humain, ce qui rĂ©duit la possibilitĂ© de transposer les rĂ©sultats du premier vers le second. C’est le cas, par exemple, de la prostate similaire Ă  un plumeau chez le rat et Ă  une balle de golf chez l’homme. Enfin, les organoĂŻdes sur puce offrent un modĂšle d’étude de phĂ©nomĂšnes inaccessibles jusqu’à prĂ©sent comme les comorbiditĂ©s, c’est-Ă -dire les risques de complications pathologiques associĂ©s Ă  une premiĂšre maladie.

Peuvent-ils pour autant remplacer les modĂšles animaux ?

XG : Ces derniers restent encore nĂ©cessaires pour des Ă©tudes comportementales, par exemple des tests de mĂ©moire qui ne pourraient pas ĂȘtre rĂ©alisĂ©s Ă  l’aide de dispositifs sur puce. Idem en immunologie. Les maladies auto-immunes et les maladies inflammatoires sont des pathologies complexes qui impliquent plusieurs organes. En ce sens, les Ă©tudes sur des modĂšles animaux devraient ĂȘtre nĂ©cessaires encore longtemps. En effet, elles permettent de mieux comprendre la rĂ©ponse immunitaire et les pathologies associĂ©es dans le corps entier de l’animal.

En plus de la recherche fondamentale, quelles sont les principales applications des organes et organoĂŻdes sur puce ?

XG : On dit souvent en pharmacologie qu’il faut tester un million de molĂ©cules pour en trouver une qui soit efficace. Une des raisons est l’inadĂ©quation frĂ©quente entre le modĂšle animal et la pathologie Ă©tudiĂ©e. La meilleure reprĂ©sentativitĂ© de la rĂ©alitĂ© physiologique de l’organe apportĂ©e par les organes et organoĂŻdes permet de mieux dĂ©montrer l’efficacitĂ© d’un mĂ©dicament et sa toxicitĂ© Ă©ventuelle. Ces dispositifs facilitent donc l’identification de molĂ©cules et de mĂ©dicaments.

Autre application : la mĂ©decine personnalisĂ©e. L’objectif est d’identifier le bon mĂ©dicament pour la bonne personne et Ă  la bonne concentration. En oncologie et dans le cas des maladies inflammatoires, par exemple, les cliniciens disposent souvent de plusieurs drogues sans savoir celle qui sera la plus adaptĂ©e Ă  un patient X. Leur approche actuelle basĂ©e sur l’essai-erreur impacte nĂ©gativement la santĂ© et le moral du patient. Les organes et organoĂŻdes sur puce permettraient de tester ces molĂ©cules en amont, en dĂ©rivant un modĂšle expĂ©rimental Ă  partir des cellules du patient.

Enfin, les organoĂŻdes sont envisagĂ©s en mĂ©decine rĂ©gĂ©nĂ©rative en vue de petites greffes capables de restaurer une fonction dĂ©ficiente en l’attente d’un don d’organe. Il n’est cependant pas question Ă  ce jour de rĂ©aliser des organes entiers. Pour le moment, les organoĂŻdes ne mesurent que quelques centaines de microns Ă  un ou deux millimĂštres.

À plus long terme, quelles sont les grandes voies de dĂ©veloppement envisagĂ©es pour ces technologies ?

XG : Il s’agit d’une vision qui, aujourd’hui, tient plus de la science-fiction que de la science, mais les organoĂŻdes et les organes sur puce pourraient rĂ©volutionner les essais cliniques. L’idĂ©e d’avoir des avatars de patients sur puce, matĂ©rialisĂ©s par la connexion de plusieurs organoĂŻdes spĂ©cifiques de ces patients permettrait de rĂ©duire les coĂ»ts et les risques associĂ©s aux essais cliniques actuels. Il serait aussi possible d’élargir les panels de population des essais cliniques avec des puces reprĂ©sentatives de la physiologie de patients qui ne peuvent pas participer Ă  des essais, Ă  savoir les femmes enceintes ou les enfants.

Cela va de pair avec l’objectif de recherches en cours qui visent Ă  dĂ©ployer des systĂšmes multi-organes sur puces. Des chercheurs aux États-Unis ont ainsi dĂ©montrĂ© une meilleure efficacitĂ© d’un traitement cardiaque en connectant sur une mĂȘme puce un organoĂŻde de foie et un autre de cƓur, plutĂŽt qu’un organoĂŻde de cƓur – ou cardioĂŻde – seul. Cela s’appuie sur des connaissances acquises, Ă  savoir que ces mĂ©dicaments sont prĂ©alablement mĂ©tabolisĂ©s par le foie avant d’agir sur le cƓur. L’expĂ©rience montre l’intĂ©rĂȘt de systĂšmes avec plusieurs organoĂŻdes sur puce capables de mieux reproduire ce qu’il se passe dans notre corps. De tels dispositifs faciliteront Ă  terme l’étude de comorbiditĂ©s susmentionnĂ©e. Il sera par exemple possible de mieux comprendre le lien entre le diabĂšte de type 2 et les complications associĂ©es telle que les problĂšmes de cicatrisation ou la perte de la vue, en connectant des organoĂŻdes de pancrĂ©as, de peau et de rĂ©tine sur une mĂȘme puce.

Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor

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