Les organes et organoĂŻdes sur puce rĂ©volutionnent des domaines allant de la recherche fondamentale Ă lâindustrie pharmaceutique tout en ouvrant de nouvelles pistes pour la mĂ©decine rĂ©gĂ©nĂ©rative. Leurs particularitĂ©s ? Ils miment des fonctions de notre corps et se rapprochent de la rĂ©alitĂ© physiologique de nos organes. Ces dispositifs de petite taille permettent ainsi de suivre lâimpact de maladies et de traitements sur diverses fonctions biologiques de notre corps. Pour en savoir plus, le Gircor sâest entretenu avec Xavier Gidrol, responsable du Service de biologie Ă grande Ă©chelle du CEA.
Quâest-ce quâun organe sur puce (organ-on-a-chip en anglais) ?
Xavier Gidrol : En rĂ©alitĂ©, un organe sur puce ne ressemble pas du tout Ă un organe ! Il sâagit plutĂŽt dâun systĂšme comparable Ă un domino en thermoplastique ou en silicium. Ces technologies sâappuient sur la microfludique et servent de support Ă la culture de cellules qui vont mimer une fonction physiologique dâun organe (respiration, sĂ©crĂ©tion dâhormones, vascularisation, etc.). Le premier modĂšle, un poumon sur puce – mis au point en 2010 par des chercheurs de lâUniversitĂ© dâHarvard aux Ătats-Unis â lâillustre bien.
Cette expĂ©rience reproduisait la fonction dâune alvĂ©ole pulmonaire qui transfĂšre lâoxygĂšne de lâair vers le sang. Le dispositif se composait de deux canaux microfluidiques permettant de faire circuler des fluides Ă trĂšs petite Ă©chelle et qui Ă©taient sĂ©parĂ©s par une membrane. Dâun cĂŽtĂ© de la puce, se trouvaient une couche de cellules Ă©pithĂ©liales de poumon en contact avec de lâair et de lâautre, une couche de cellules endothĂ©liales de veines dans un liquide. Sur le cĂŽtĂ©, des dispositifs Ă©tiraient cette membrane pour mimer les actions dâinspiration et dâexpiration. Le systĂšme a bien permis de reproduire la respiration dâune alvĂ©ole pulmonaire, mais il ne ressemblait pas du tout Ă un poumon.
Pourquoi cibler une fonction physiologique particuliĂšre ? Est-il possible dâĂ©tudier les interactions entre plusieurs fonctions ?
XG : Certains organes ont plusieurs fonctions. Câest le cas du pancrĂ©as qui sĂ©crĂšte de lâinsuline et du glucagon, deux hormones qui rĂ©gulent le taux de sucre dans notre sang (fonction endocrine). Mais il synthĂ©tise aussi des sucs digestifs envoyĂ©s vers le cĂŽlon pour aider Ă la digestion (fonction exocrine). Cibler une fonction en particulier et non lâorgane entier, nous permet dâĂ©tudier en dĂ©tails comment une maladie va lâaltĂ©rer ou comment un traitement pourra la restaurer.
Toutefois, il est possible de connecter plusieurs fonctions sur une mĂȘme puce. Au sein de notre Ă©quipe, nous nous intĂ©ressons, entre autres, au cancer du pancrĂ©as. Comme il est difficile Ă diagnostiquer, les organes sur puce nous aident Ă identifier des marqueurs biologiques de diagnostic prĂ©coce. Pour cette recherche, il est par exemple intĂ©ressant de dĂ©terminer si le cancer du pancrĂ©as et le diabĂšte qui altĂšrent diffĂ©remment le mĂȘme organe peuvent sâinfluencer mutuellement ou non, et si oui, comment.
Des capteurs de mesure se développent également pour les organes sur puce. Comment cela fonctionne et quelles informations supplémentaires apportent-ils ?
XG : Les puces sont gĂ©nĂ©ralement en thermoplastique. Mais il en existe aussi en silicium – largement utilisĂ©es en Ă©lectronique â qui mesurent des courants Ă©lectriques et offrent un bon support Ă tous types de capteurs. En mariant les deux technologies, on peut mettre en place des systĂšmes de mesures de fonctions biologiques (respiration, production dâinsuline, etc.) au plus prĂšs des cellules. Ces nouvelles donnĂ©es servent au suivi temporel de la vitalitĂ© et de lâefficacitĂ© des fonctions physiologiques au sein de la puce. Cependant, lâintĂ©gration de capteurs nâen est quâĂ ses balbutiements.
Pour aller plus loin et se rapprocher de la réalité du corps humain, il est possible de placer non plus des « organes », mais des organoïdes sur puce. Quelle est la différence ?
XG : Les organoĂŻdes sont dâautres modĂšles dĂ©veloppĂ©s en laboratoire. Contrairement Ă la biologie cellulaire gĂ©nĂ©ralement Ă©tudiĂ©e en deux dimensions dans des tubes Ă essai, les organoĂŻdes sont dĂ©veloppĂ©s Ă partir de cellules-souches mises en culture au sein dâune substance appelĂ©e hydrogel. Ils sây auto-organisent en trois dimensions et se diffĂ©rencient. Autrement dit, ces cellules se spĂ©cialisent en vue dâaccomplir une fonction (cellule sanguine, nerveuse, musculaire, etc.) spĂ©cifique de lâorgane Ă©tudiĂ©. LĂ oĂč un organe sur puce permet simplement de mimer une fonction, lâorganoĂŻde est, quant Ă lui, une structure multicellulaire complexe plus proche de la rĂ©alitĂ© physiologique ou de la micro-anatomie du vĂ©ritable organe.Â
Quelles sont les principaux atouts des organes et organoĂŻdes sur puce pour la recherche fondamentale comparĂ©e Ă dâautres modĂšles existants ?
XG : Contrairement aux cultures de cellules en conditions statiques, la culture de cellules ou dâorganoĂŻdes sur puce permet de vasculariser, dâimposer un flux et donc de mimer lâirrigation du sang vers les organes. En Ă©tant plus proches de la physiologie humaine, ces modĂšles pallient aussi certaines limites des modĂšles animaux. En effet, plusieurs organes diffĂšrent totalement entre lâanimal et lâhumain, ce qui rĂ©duit la possibilitĂ© de transposer les rĂ©sultats du premier vers le second. Câest le cas, par exemple, de la prostate similaire Ă un plumeau chez le rat et Ă une balle de golf chez lâhomme. Enfin, les organoĂŻdes sur puce offrent un modĂšle dâĂ©tude de phĂ©nomĂšnes inaccessibles jusquâĂ prĂ©sent comme les comorbiditĂ©s, c’est-Ă -dire les risques de complications pathologiques associĂ©s Ă une premiĂšre maladie.
Peuvent-ils pour autant remplacer les modĂšles animaux ?
XG : Ces derniers restent encore nĂ©cessaires pour des Ă©tudes comportementales, par exemple des tests de mĂ©moire qui ne pourraient pas ĂȘtre rĂ©alisĂ©s Ă lâaide de dispositifs sur puce. Idem en immunologie. Les maladies auto-immunes et les maladies inflammatoires sont des pathologies complexes qui impliquent plusieurs organes. En ce sens, les Ă©tudes sur des modĂšles animaux devraient ĂȘtre nĂ©cessaires encore longtemps. En effet, elles permettent de mieux comprendre la rĂ©ponse immunitaire et les pathologies associĂ©es dans le corps entier de lâanimal.
En plus de la recherche fondamentale, quelles sont les principales applications des organes et organoĂŻdes sur puce ?
XG : On dit souvent en pharmacologie quâil faut tester un million de molĂ©cules pour en trouver une qui soit efficace. Une des raisons est lâinadĂ©quation frĂ©quente entre le modĂšle animal et la pathologie Ă©tudiĂ©e. La meilleure reprĂ©sentativitĂ© de la rĂ©alitĂ© physiologique de lâorgane apportĂ©e par les organes et organoĂŻdes permet de mieux dĂ©montrer lâefficacitĂ© dâun mĂ©dicament et sa toxicitĂ© Ă©ventuelle. Ces dispositifs facilitent donc lâidentification de molĂ©cules et de mĂ©dicaments.
Autre application : la mĂ©decine personnalisĂ©e. Lâobjectif est dâidentifier le bon mĂ©dicament pour la bonne personne et Ă la bonne concentration. En oncologie et dans le cas des maladies inflammatoires, par exemple, les cliniciens disposent souvent de plusieurs drogues sans savoir celle qui sera la plus adaptĂ©e Ă un patient X. Leur approche actuelle basĂ©e sur lâessai-erreur impacte nĂ©gativement la santĂ© et le moral du patient. Les organes et organoĂŻdes sur puce permettraient de tester ces molĂ©cules en amont, en dĂ©rivant un modĂšle expĂ©rimental Ă partir des cellules du patient.
Enfin, les organoĂŻdes sont envisagĂ©s en mĂ©decine rĂ©gĂ©nĂ©rative en vue de petites greffes capables de restaurer une fonction dĂ©ficiente en lâattente dâun don dâorgane. Il nâest cependant pas question Ă ce jour de rĂ©aliser des organes entiers. Pour le moment, les organoĂŻdes ne mesurent que quelques centaines de microns Ă un ou deux millimĂštres.
à plus long terme, quelles sont les grandes voies de développement envisagées pour ces technologies ?
XG : Il sâagit dâune vision qui, aujourdâhui, tient plus de la science-fiction que de la science, mais les organoĂŻdes et les organes sur puce pourraient rĂ©volutionner les essais cliniques. LâidĂ©e dâavoir des avatars de patients sur puce, matĂ©rialisĂ©s par la connexion de plusieurs organoĂŻdes spĂ©cifiques de ces patients permettrait de rĂ©duire les coĂ»ts et les risques associĂ©s aux essais cliniques actuels. Il serait aussi possible dâĂ©largir les panels de population des essais cliniques avec des puces reprĂ©sentatives de la physiologie de patients qui ne peuvent pas participer Ă des essais, Ă savoir les femmes enceintes ou les enfants.
Cela va de pair avec lâobjectif de recherches en cours qui visent Ă dĂ©ployer des systĂšmes multi-organes sur puces. Des chercheurs aux Ătats-Unis ont ainsi dĂ©montrĂ© une meilleure efficacitĂ© dâun traitement cardiaque en connectant sur une mĂȘme puce un organoĂŻde de foie et un autre de cĆur, plutĂŽt quâun organoĂŻde de cĆur – ou cardioĂŻde – seul. Cela sâappuie sur des connaissances acquises, Ă savoir que ces mĂ©dicaments sont prĂ©alablement mĂ©tabolisĂ©s par le foie avant dâagir sur le cĆur. LâexpĂ©rience montre lâintĂ©rĂȘt de systĂšmes avec plusieurs organoĂŻdes sur puce capables de mieux reproduire ce quâil se passe dans notre corps. De tels dispositifs faciliteront Ă terme lâĂ©tude de comorbiditĂ©s susmentionnĂ©e. Il sera par exemple possible de mieux comprendre le lien entre le diabĂšte de type 2 et les complications associĂ©es telle que les problĂšmes de cicatrisation ou la perte de la vue, en connectant des organoĂŻdes de pancrĂ©as, de peau et de rĂ©tine sur une mĂȘme puce.
Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor