En juin 2015, les Instituts américains de la santé (NIH) ont souhaité que le sexe soit considéré comme une variable à prendre en compte au même titre que le poids ou l’âge de l’individu, et ce pour les recherches in vitro, in vivo et les essais cliniques. Concrètement, pourquoi et comment intégrer la variable sexe dans les protocoles expérimentaux ? Éléments de réponse.
En juin 2015, les Instituts américains de la santé (ou NIH) ont annoncé la mise en place d’une nouvelle politique visant à ce que le sexe soit pris en compte comme une variable au sein des recherches scientifiques menées sur l’animal comme sur l’homme, au même titre que le sont déjà le poids ou encore l’âge des individus.
En effet, la communauté scientifique a pu s’apercevoir au fil des années et des recherches, que l’homme et la femme ont plus de différences biologiques que ce que l’on pourrait penser. Aussi, ne pas prendre en compte le sexe comme une variable à part entière revient à prendre le risque d’obtenir des résultats faussés.
Un article pour convaincre la communauté scientifique
Qualifiant le sexe comme une variable biologique fondamentale, Terri Lynn Cornelison et Janine Austin Clayton, deux chercheurs des NIH rappellent ainsi que “la sous-représentation d’animaux femelles et de cellules issues de femelles dans la recherche préclinique a conduit à une moins bonne compréhension des mécanismes biologiques, physiologiques et pathophysiologiques du sexe féminin comparé au sexe masculin.” Et de poursuivre que, “sans données en provenance de femelles, il est impossible de déterminer si les résultats obtenus sur des animaux mâles et sur leurs cellules s’appliquent aussi aux animaux femelles et à leurs cellules.”
Pendant des années, de nombreuses recherches in vitro, in vivo et cliniques ont ainsi été conduites – sans doute pour plus de facilité au vu des variations hormonales – presque exclusivement sur des organismes mâles. Résultat : certains médicaments sont arrivés sur le marché en ayant été insuffisamment testés sur des organismes femelles et des femmes, les patientes déclarant alors des effets indésirables qui n’avaient pas ou peu été répertoriés lors des essais précliniques et cliniques. Selon les NIH, un rapport issu de plusieurs études de la littérature scientifique a révélé que, pour les maladies prévalentes chez les femmes, sur toutes les études sur animaux impliquant la variable sexe, seules 12% ont effectivement utilisé des animaux femelles. En novembre 2016, deux éminentes chercheuses ont ainsi écrit une lettre ouverte à la communauté scientifique, publiée dans le Journal of the American Association (JAMA) pour appeler à davantage de transparence, et sensibiliser les scientifiques à l’importance de prendre en compte le sexe comme une variable expérimentale.
Des différences génétiques et physiologiques non négligeables
Dans leur article publié dans la revue scientifique Gender and the Genome, Terri Lynn Cornelison et Janine Austin Clayton expliquent que de nombreuses données soutiennent le concept de sexe comme variable biologique “de base”. L’expression des gènes diffère ainsi fortement selon le sexe. A titre d’exemple chez la souris, 72% des gènes du foie, 68% des gènes des tissus adipeux et 14% des gènes des tissus cérébraux ont une expression qui diffère entre les mâles et femelles.
Chez l’humain, on sait notamment que les risques cardiovasculaires et métaboliques diffèrent selon le sexe. Il existe en outre des différences physiologiques du fait des variations hormonales (testostérone, oestrogènes et progestérone entre autres), notamment au niveau cérébral, entraînant de fait des implications importantes dans le traitement des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des maladies neurodégénératives et des troubles mentaux.
Prendre le sexe en considération, oui mais comment ?
Conscients qu’il n’est pas toujours clair pour les scientifiques de ce que la prise en compte du sexe comme variable doit entraîner dans leur façon de travailler, Terri Lynn Cornelison et Janine Austin Clayton ont rédigé quelques lignes directrices et recommandations.
Ils conseillent notamment aux chercheurs de considérer l’influence du sexe dès la conception de l’étude et l’élaboration des questions de recherche, et d’interroger la littérature scientifique existante sur le lien entre le thème de recherche choisi et le sexe. Ensuite il faudra bien-sûr incorporer mâles et femelles dans les expériences, et mener des études pilotes, telles que l’ajout d’un traitement hormonal aux cultures tissulaires. Vient ensuite l’étape d’analyse des données, où l’on veillera à signaler si les données diffèrent d’un sexe à l’autre, puis celle de l’interprétation des résultats, où la variable sexe doit également apparaître. Quant aux études où les expériences n’ont été menées que sur des mâles, elles devront faire apparaître une justification solide pour expliquer l’absence de tests sur femelles, préviennent les auteurs. Des recherches sur des organes uniquement masculins (ex : prostate) justifieraient une telle démarche, tout comme le fait de travailler sur des primates non humains, où le nombre d’individus est très limité. Justifier l’absence d’un des deux sexes par les coûts engendrés est bien évidemment une excuse non recevable pour les NIH.
Sur leur site internet, les NIH, qui financent de nombreuses recherches, résument en 4C les différentes étapes que les chercheurs doivent appliquer : considérer, collecter, caractériser et communiquer.
Hélène Bour