✒️ Les anticorps thérapeutiques en médecine vétérinaire

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Utilisées chez l’Homme depuis plus d’un siècle, quelles sont les applications des thérapies à base d’anticorps en médecine vétérinaire ? Depuis quelques années maintenant, les anticorps sont reconnus comme l’une des voies thérapeutiques les plus prometteuses, témoin de la nouvelle ère des biothérapies. L’intérêt grandissant pour ces molécules en médecine soutient désormais ces outils diagnostiques et thérapeutiques dans des applications directement bénéfiques pour les animaux. Les anticorps révolutionnent la cancérologie, l’immunologie et la rhumatologie autant que d’autres secteurs. Le point sur ces nouvelles avancées en recherche biomédicale dans le domaine de la santé animale.

La sérothérapie, développée pour l’humain au bénéfice de l’animal 

Depuis quelques années maintenant, les anticorps sont reconnus pour leur fonctions thérapeutiques. Les sérothérapies (traitements à base d’anticorps) sont utilisées dans la plupart des spécialités médicales chez l’humain. Ils révolutionnent notamment les traitements contre les cancers, les maladies inflammatoires, et les maladies infectieuses. La spécificité des anticorps pour leur antigène-cible et l’étendue du répertoire antigénique potentiel en font des agents thérapeutiques très puissants.

Les anticorps monoclonaux sont essentiellement identiques aux anticorps naturels produits et sécrétés par les cellules immunitaires, les plasmocytes, d’un organisme. La différence vient de la diversité de la réponse immunitaire naturelle. Lors d’une stimulation par un agent infectieux ou une maladie, le système immunitaire va répondre avec la production de milliers d’anticorps par de nombreux plasmocytes qui vont reconnaître plusieurs épitopes sur un antigène particulier. Les anticorps monoclonaux eux proviennent de la sélection d’une seule lignée de cellules plasmatiques et reconnaissent très spécifiquement la même région cible sur un antigène ; ils sont aussi spécifiques de l’espèce dans laquelle ils sont produits. Ils sont sélectionnés sur la base de leur efficacité contre l’agent pathogène ou la pathologie. C’est donc tout naturellement que les anticorps ont trouvé une place en tant que biothérapies, et notamment dans la lutte contre les pathogènes chez l’Homme.

Mais cela n’a pas toujours été le cas. Au début du siècle dernier, les anticorps étaient, en effet, produits en immunisant des animaux (souris, bovins et chevaux) et en récoltant leur sang. Les sérums animaux, et la variabilité des anticorps ainsi récoltés, pouvaient être très immunogènes chez l’humain, induisant parfois des réponses immunitaires violentes, voire même des chocs anaphylactiques. Leur utilisation a donc longtemps été évincée par d’autres produits plus accessibles. Les antibiotiques, beaucoup moins chers et sûrs à l’époque pour lutter contre les infections, jettent notamment une ombre sur la sérothérapie chez l’humain. Son intérêt ne reprend qu’après 1977 avec la mise au point des hybridomes qui permettent la génération d’anticorps monoclonaux. Obtenus en isolant les plasmocytes désirés chez la souris et en fusionnant ces cellules avec une lignée cellulaire de myélome immortel, les anticorps ainsi produits peuvent être fabriqués en grande quantité et à faible coût. Des progrès en génie génétique ont ensuite permis de créer des anticorps recombinants ou optimisés pour être mieux tolérés par l’espèce cible (homme, chien ou chat). Ces derniers sont à plus de 90% similaires à ceux de la composition de l’espèce cible. Ce niveau de spéciation limite l’utilisation des produits aux seules espèces concernées, mais diminue par la même occasion le risque d’effets indésirables. Cependant, en intervertissant uniquement quelques acides aminés sur les anticorps en question, il semblerait possible d’adapter le potentiel thérapeutique d’un anticorps à différentes espèces assez facilement. Ces changements sur des régions clés suffiraient à éviter une réaction immunitaire inhibant l’effet thérapeutique recherché.

Les anticorps monoclonaux se développent rapidement chez l’Homme et avec un succès fulgurant. Mais bien que la thérapie puisse techniquement être appliquée aux animaux, pendant des années elle peine à trouver une place en médecine vétérinaire, notamment pour des raisons de coûts de production trop élevés. Pourtant, « la transposition des cibles identifiées chez l’homme aux maladies similaires chez les animaux de compagnie est relativement facile. On pourrait presque parler de médecine translationnelle inverse, » appuie Jean-Christophe Audonnet, Boehringer Ingelheim Animal Health. Les animaux pourraient donc bénéficier d’années de recherches et d’évaluations qui ont permis de mettre au point ces thérapies pour l’humain. L’utilisation des anticorps monoclonaux pour le traitement de maladies chroniques de l’animal (douleur, atopies, etc.) aurait de nombreux avantages. « Ils devraient notamment avoir beaucoup moins d’effets secondaires que les traitements pharmaceutiques existants. »

Les anticorps thérapeutiques vétérinaires

Malgré les avantages possibles pour la médecine vétérinaire, ce n’est donc qu’en 2017 que le premier anticorps à usage vétérinaire voit le jour. Des résultats exceptionnels en clinique finissent par convaincre les autorités réglementaires des bénéfices thérapeutiques des anticorps optimisés pour un usage chez le chien. La Commission européenne autorise la mise sur le marché du Cytopoint (lokivetmab), produit par laboratoire américain Zoetis, le premier anticorps monoclonal destiné au chien atteint de dermatite atopique. Le lokivetmab agit en ciblant et neutralisant la cytokine canine interleukine 31 (IL-31), une protéine dont l’excès est associé à la dermatite atopique. Administré une fois par mois par injection sous-cutanée, Cytopoint soulage les démangeaisons, l’inflammation et les lésions cutanées sans déclencher une immunosuppression ou une réponse immunitaire accrue non désirée. Comme pour les anticorps monoclonaux utilisés en médecine humaine, le lokivetmab est produit à partir des cellules CHO, issues des ovaires de hamster de Chine, modifiées pour produire cet anticorps monoclonal caninisé.

Mais les chiens ne sont plus les seuls animaux domestiques à bénéficier des avantages des anticorps thérapeutiques. Le Comité des médicaments vétérinaires (CVMP) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) a autorisé le 10 décembre 2020 la mise sur le marché du premier médicament à base d’anticorps monoclonaux pour le chat, Solensia (frunevetmab). Ce dernier, également produit par Zoetis est indiqué pour soulager la douleur associée à l’arthrose chez le chat. Dans les années à venir, de plus en plus d’espèces seront concernées par ces avancées. « Pour le moment, l’impact de ces thérapies pour les animaux est peu visible, » précise Audonnet. « Mais les premiers anticorps thérapeutiques développés par Zoetis ont un chiffre d’affaires en très forte croissance, indiquant une attente importante des vétérinaires pour utiliser des biothérapies qui permettent de traiter les animaux de compagnie. » De nombreuses études ont déjà été lancées et apportent tous les jours des preuves que les anticorps prendront une grande place dans l’arsenal thérapeutique chez l’animal dans les années à venir.

La gestion de la maladie et des épidémies des animaux de compagnie, en particulier les chiens et les chats, étant plus personnalisée et proche de la prise en charge chez l’humain que pour les animaux de rente, ils sont les premiers concernés par le développement de ces biothérapies. De nombreux traitements personnalisés sont en cours de développement pour le chien, notamment pour lutter contre le cancer ou certaines pathologies inflammatoires. Par exemple, un anticorps chimérique chien et souris dérivé d’un anticorps monoclonal de souris anti-NGF, un facteur de croissance pour le système nerveux humain, a été testé avec succès pour traiter une inflammation chronique chez le chien. Des applications sont en cours de développement, notamment en cancérologie : un anticorps anti-CD20 canin, un anticorps contre le récepteur du facteur de croissance épidermique ou encore des vaccinations à base d’anticorps ciblant les cellules dendritiques des animaux.

Une alternative à l’antibiorésistance ? 

Aujourd’hui, l’apparition d’une résistance aux antibiotiques relance l’intérêt pour les anticorps thérapeutiques contre les agents infectieux chez l’animal. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’antibiorésistance est l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale. Pour chaque antibiotique existant, un pathogène est capable de contrer ses effets et développer ainsi une tolérance. Et ce phénomène a tendance à prendre de l’ampleur. La résistance d’Helicobacter pylori a tout simplement doublé en seulement vingt ans. Utilisés massivement, les antibiotiques deviennent moins efficaces et de nombreuses souches bactériennes multi-résistantes apparaissent, notamment dans les filières d’élevage (par exemple, chez les porcs, le taux de résistance de E. coli aux tétracyclines a été évalué en 2019 à 65%). Cette antibiorésistance a renforcé le besoin de thérapies alternatives dont les anticorps thérapeutiques font partie.

Le milieu agricole est particulièrement concerné. Les agriculteurs utilisent les antibiotiques pour soigner leurs animaux, mais ils sont aussi souvent administrés en routine pour prévenir les maladies et pour promouvoir la croissance du bétail. A ce titre, de nombreux échanges avec des représentants des organisations professionnelles agricoles et vétérinaires, des scientifiques et des représentants de laboratoires pharmaceutiques vétérinaires ont permis de mettre en place le plan Ecoantibio pour la période 2012-2017. Celui-ci valorisait des propositions pour la réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire par un usage prudent et raisonné des antibiotiques. Depuis 2017, l’OMS recommande également une réduction globale de l’utilisation de toutes les classes d’antibiotiques importants pour la médecine humaine chez les animaux de rente, et notamment une restriction complète de l’utilisation de ces médicaments en tant que promoteurs de croissance et à titre préventif en l’absence de diagnostic.

La recherche de solutions alternatives aux antibiotiques contre les pathogènes en médecine vétérinaire a naturellement redirigé l’attention vers les anticorps thérapeutiques qui étaient jusqu’alors trop coûteux pour être véritablement considérés. Aujourd’hui, ils trouvent notamment une utilité en diagnostic, immunoprophylaxie et thérapie chez de multiples espèces et des essais cliniques sont en cours.

Un outil diagnostique et préventif contre les agents pathogènes 

Les anticorps avec des domaines variables entiers ou simples sont très utilisés pour la détection, la prévention et le contrôle des maladies parasitaires, bactériennes et virales chez l’humain. Pour le moment, leur utilité reste limitée à la recherche et à des essais cliniques chez l’animal. Mais l’intérêt croît, généralement pour les animaux économiquement importants, tels que les porcs, les bovins, la volaille et les chiens et les chats.

Les bovins sont particulièrement concernés par la recherche diagnostique qui s’applique à tous les agents pathogènes les plus importants chez cette espèce. Deux anticorps, dont un de poulet, ont par exemple fait leur preuve en tant qu’outil diagnostic contre le virus de la fièvre aphteuse chez les bovins et permis de différencier des animaux vaccinés et infectés. Une immunoglobuline Y recombinée de poulet anti-prion permet également de diagnostiquer l’encéphalopathie spongiforme bovineet d’autres maladies à prions. Un anticorps a également permis d’améliorer les tests ELISA et Western blot pour détecter le virus de l’immunodéficience bovine ou le diagnostic de Mycobacterium bovis par des tests immunochromatographiques. Mais les bovins ne sont pas la seule espèce concernée par la recherche, les porcs et les volailles bénéficient également des propriétés diagnostiques des anticorps et de nombreux essais sont en cours.

En revanche, les applications des anticorps en immunoprophylaxie concernent particulièrement la filière porcine. Cibler des antigènes sur les cellules présentatrices d’antigène, telles que les cellules dendritiques, est devenu une approche particulièrement intéressante en médecine vétérinaire. Le nombre d’études qui s’intéressent aux anticorps recombinants en tant que nouvelle immunoprophylaxie pour les porcs est beaucoup plus important que pour les bovins ou les autres espèces. Différentes formes d’anticorps contre le virus de la diarrhée épidémique porcine, le virus du syndrome reproducteur et respiratoire porcin, le virus de la fièvre aphteuse, le virus de la peste porcine africaine et Haemophilus parasuis ont notamment été produites et évaluées. Parmi les plus courants, on retrouve des anticorps contre le virus du syndrome reproducteur et respiratoire porcin. Un anticorps recombiné de souris et de porc spécifique du récepteur de la Langerine (qui est une protéine transmembranaire) exprimé sur les cellules dendritiques des animaux a notamment été fusionné avec la protéine spicule du PRRSV pour immuniser les porcs. Cette stratégie a permis d’induire des réponses IgG et IgA, ainsi qu’une réponse immunitaire des lymphocytes T CD4 dans des essais chez le porc. Elle permet ainsi d’améliorer le ciblage direct des antigènes et donc vise à améliorer la spécificité et la qualité de la réponse immunitaire.

Un futur prometteur 

Il existe une infinité d’anticorps, et tous n’ont pas encore été étudiés ou décrits en médecine vétérinaire, loin de là. Nous sommes encore au tout début de l’intégration de cette thérapie dans la pratique vétérinaire. La plupart des résultats positifs sont encore au stade de la recherche. Des résultats significatifs, comme ceux présentés précédemment n’ont pas encore abouti à des formes pharmaceutiques commercialisables faute de travaux de développement complémentaires. Mais si cette technologie ne demeure encore que partiellement exploitée pour les animaux, tout suggère et encourage une accélération imminente de l’utilisation des anticorps dans le milieu vétérinaire. « Il y a une explosion des thérapies par anticorps monoclonaux en médecine humaine, » raconte John Innes, cofondateur de la banque de tissus vétérinaires et président du Conseil des bourses du RCVS, à Jolyon Martin, cofondateur de la start-up biotech en santé des animaux de compagnie Petmedix. « Elles ont transformé des vies. Le potentiel pour ces thérapies en médecine vétérinaire est énorme avec un impact majeur sur le bien-être animal. »

« Le premier anticorps monoclonal pour chiens a eu beaucoup de succès et est une preuve de concept claire. Il existe de nombreux troubles chroniques chez les chiens et les chats qui pourraient bénéficier de traitement de ce type : arthrite, troubles immunitaires, allergies, douleurs chroniques, lymphomes, autres cancers, pour n’en citer que quelques-uns. Il y a certainement un potentiel à ajouter un nouvel acteur sur le marché de la thérapeutique animale, » ajoute-t-il. De nombreuses études et essais cliniques sont en cours et quelle que soit la spécialité, les anticorps s’avèrent déjà être un outil prometteur en santé animale.

Cependant, Jean-Christophe Audonnet met en garde. « Le potentiel pour des anticorps thérapeutiques chez l’animal sera du même niveau que chez les humains si deux conditions sont remplies. Premièrement, il faudra une transposition relativement facile des cibles identifiées chez l’homme aux maladies similaires chez les animaux de compagnie. Ensuite, il faudra que les coûts de production des anticorps monoclonaux soient compatibles avec ceux du marché de la santé animale, même si les assurances santé pour chiens et chats semblent se développer assez vite. Cela pourra être possible notamment par de nouveaux systèmes d’expression ou de l’utilisation de molécules qui ne sont pas des anticorps classiques, par exemple les nano-anticorps de camélidés, ou les molécules de type « affitines », avec une spécificité de reconnaissance équivalente à celle des anticorps classiques, mais pouvant être produites dans des systèmes procaryotes très peu coûteux. Ainsi les animaux de petite et moyenne taille seront les premiers à bénéficier de ces thérapies, car le coût des traitements est proportionnel au poids de l’animal. Le traitement des chevaux ne pourra être effectif qu’avec une mise à disposition d’anticorps à très bas coûts de production. »

Les futurs essais cliniques chez les espèces animales domestiques cibles devraient de plus en plus convaincre du potentiel des anticorps pour le bien-être et la santé des animaux. L’immunité passive conférée par les anticorps constituera une part grandissante de l’arsenal mis à la disposition des vétérinaires pour favoriser la croissance des animaux d’élevage de manière sûre et maintenir leur santé, comme celle des animaux de compagnie. Dans les années à venir, l’utilisation d’anticorps pour le contrôle et le traitement des maladies animales deviendra une réalité et prendra une part de plus en plus importante dans l’économie liée à ces produits pharmaceutiques.

 Par Mia Rozenbaum

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