Les anticorps sont des molécules biologiques produites par le système immunitaire d’un organisme et capables de reconnaitre, viser et neutraliser une cible. Depuis la découverte en France de la sérothérapie en 1888, les chercheurs ont exploité le potentiel des anticorps pour développer des innovations diagnostiques et thérapeutiques en médecine humaine et vétérinaire. Ils s’inspirent notamment de la variété des anticorps présents dans le monde animal.
Depuis quelques années maintenant, les anticorps sont reconnus comme l’une des voies thérapeutiques les plus prometteuses, témoin de la nouvelle ère des biothérapies. Les sérothérapies (traitement à base d’anticorps) sont utilisées dans toutes les spécialités médicales pour traiter les maladies inflammatoires, auto-immunes, infectieuses, allergiques, ou pour prévenir le rejet de greffe.
L’anticorps thérapeutique : qu’est-ce que c’est ?
Un anticorps est une glycoprotéine complexe produite par le système immunitaire en réponse à une stimulation par un composant habituellement étranger, appelé antigène. Les anticorps sont capables de se fixer spécifiquement aux antigènes pour les neutraliser, et recruter des effecteurs du système immunitaire. Macrophages et lymphocytes (cellules Natural Killers) affluent afin d’éliminer la source de l’antigène, par exemple un microorganisme.
Les antigènes sont composés de différentes zones appelées épitopes. Dans l’organisme, les corps étrangers vont déclencher une réponse immunitaire dite polyclonale. Ces différents épitopes d’un même antigène vont être reconnus par plusieurs anticorps différents. Les anticorps polyclonaux correspondent à une combinaison d’anticorps produits par différentes lignées de lymphocytes B. Les anticorps polyclonaux sont principalement utilisés pour réaliser des expériences en biologie moléculaire. Dans le domaine médical, la sérothérapie à base d’anticorps polyclonaux est utilisée pour traiter les déficits immunitaires. Les plasmas de donneurs sains et immunocompétents peuvent être administrés par voies intraveineuse ou sous-cutanée à des patients qui ne parviennent pas à produire suffisamment d’anticorps.
Les anticorps monoclonaux eux sont issus d’une seule lignée de lymphocyte B. Ils sont capables de reconnaitre une protéine spécifique de l’antigène, permettant aux médecins de cibler leur action sur des marqueurs spécifiques de cellules atteintes d’une maladie. La spécificité et la flexibilité combinées des traitements à base d’anticorps pour fournir une immunité passive en font des outils thérapeutiques très précieux. De plus, ces thérapies ont une toxicité limitée car elles n’attaquent pas les autres cellules, seulement ses cibles thérapeutiques.
Il est théoriquement possible de produire des anticorps monoclonaux contre n’importe quelle substance. Ils peuvent ensuite s’y lier et servir à détecter et purifier ladite substance, ces biomarqueurs ou réactifs sont des outils particulièrement utiles en biochimie ou en biologie moléculaire. Pour les produire, les chercheurs utilisent des animaux. Mais pour enclencher la production d’anticorps, il faut que les antigènes soient assez différents des protéines de l’espèce choisie, sinon la réponse immunitaire ne s’active pas. En fonction des cibles potentielles, différents modèles animaux sont plus ou moins pertinents et efficaces.
Sous forme de biothérapie, les anticorps favorisent la destruction et l’élimination de pathogènes cibles, comme ils le feraient sous influence du système immunitaire. Mais les anticorps ne ciblent plus uniquement ce qui est anormal ou étranger. Ils peuvent également viser et bloquer des protéines natives d’intérêt . « Pour soulager des maux de tête, l’aspirine se lie à une protéine du corps qui soulage la douleur, » explique le professeur Gary Stephens, de la Reading School of Pharmacy. « Les anticorps peuvent agir de manière similaire. Mais leurs propriétés inhérentes leur permettent de se lier très fortement et avec une très grande affinité à leur cible. Ils sont donc probablement plus puissants que les médicaments. » La production de ces anticorps est plus délicate, puisqu’il faut que le modèle animal producteur exprime la protéine native cible avec la meilleure homologie de séquence possible (sauf pour les cibles virales et microbiennes). Les animaux transgéniques, humanisés ou des espèces proches de l’humain, comme les primates sont particulièrement pertinents dans ce cas.
La spécificité des anticorps pour leur antigène-cible, l’étendue du répertoire antigénique potentiel en font des agents thérapeutiques très puissants. Les anticorps thérapeutiques monoclonaux représentent aujourd’hui la majorité des médicaments innovants. D’après l’état des lieux de 2014 sur les biomédicaments en France, 17 % des 173 biomédicaments disponibles sur le marché français sont des anticorps monoclonaux. Ces molécules hautement spécifiques peuvent cibler de manière unique les mécanismes de la maladie sans les effets secondaires associés à une pharmacothérapie à large spectre. L’utilisation d’anticorps monoclonaux est notamment en train de révolutionner l’immunothérapie du cancer.
Le sérum animal, la base des anticorps thérapeutiques
Ces biothérapies ont commencé par faire leurs preuves chez l’animal. En 1890, Emil Adolf von Behring et Shibasaburo Kitasato parviennent à protéger des animaux contre des doses létales de toxine diphtérique en leur administrant du sang d’animaux préalablement immunisés. Sans le savoir, ils viennent d’induire la production d’anticorps spécifiques anti-toxine, qui, réadministrés chez un animal non immunisé, assurent sa protection contre la toxine diphtérique. C’est l’avènement de la sérothérapie. Au fil des ans, l’emploi en thérapeutique de préparations à base d’anticorps s’est développé considérablement contre toutes sortes d’agents infectieux, de toxines et de venins pour sauver de nombreuses vies.
Les anticorps monoclonaux ou polyclonaux sont fabriqués en laboratoire à partir de sérum animal, comme celui de la souris. Plus simples à obtenir que les anticorps monoclonaux, les anticorps polyclonaux sont obtenus en immunisant un animal (par exemple un lapin, une chèvre, une souris, un lama…) à plusieurs reprises avec une préparation d’antigènes et un adjuvant, afin d’augmenter sa réponse immunitaire. Lorsque la production d’anticorps devient importante, le sang de l’animal est récupéré et les anticorps sont purifiés au laboratoire.
Du fait de la variabilité des anticorps récoltés, les préparations à base de sérum animal, ont eu tendance initialement à être elles-mêmes très immunogènes chez l’humain, induisant parfois des réponses immunitaires violentes voire même des chocs anaphylactiques. La découverte de la pénicilline par Fleming en 1928 et autres antibiotiques, beaucoup moins chers et sûrs pour lutter contre les infections, jette alors une ombre sur la sérothérapie, en grande partie abandonnée à cette époque.
L’intérêt pour les anticorps thérapeutique reprend après 1977 avec la mise au point des hybridomes par César Milstein et Georges Köhler permettant d’obtenir une grande quantité d’anticorps à faible coût. Après injection d’un antigène d’intérêt chez la souris, les cellules de rate, plus spécifiquement les plasmocytes qui sécrètent des anticorps dirigés contre l’antigène choisi, sont prélevées et cultivées. Les hybridomes sont obtenus en fusionnant ces plasmocytes avec des cellules de tumeur appelées cellules myélomateuses (cellules immortelles). Comparativement aux cellules productrices d’anticorps d’un organisme, ces hybridomes sont capables de se multiplier plus rapidement et de développer indéfiniment des anticorps spécifiques. Il est ainsi possible de cultiver perpétuellement un clone de cellules productrices d’un seul type d’anticorps pour assurer une production constante dans le temps.
Les anticorps issus de ces hybridomes de souris sont rapidement perçus comme une renaissance de l’ancienne sérothérapie animale, et ont ouvert de nombreuses perspectives dans l’identification précise de structures antigéniques, la purification de substances et le diagnostic. Le premier anticorps monoclonal thérapeutique, le muromonab-CD3 (Orthoclone OKT3®), fut ainsi autorisé dès 1986 en tant qu’immunosuppresseur pour prévenir les rejets de greffes.
Des approches innovantes pour diminuer le recours aux animaux
L’arrivée sur le marché des anticorps recombinants, décrits pour la première fois en 1984, a véritablement constitué une percée thérapeutique. Grâce aux progrès concomitants du génie génétique, il a été possible de cloner les gènes codant pour les chaînes lourdes et légères des anticorps. En combinant des ADN de souris (provenant d’hybridome) avec des ADN issus de gènes codant des anticorps humains, il devient possible de créer des anticorps plus proches encore des anticorps humains. A la différence des techniques traditionnelles basées sur les immunisations d’animaux, ces anticorps monoclonaux chimériquespermettent la production d’une grande quantité d’anticorps sans contaminant car ils sont produits à partir de gènes synthétiques exprimés in vitro en cellules mammifères ou in vivo en utilisant des hybridomes. L’immunogénicité est réduite, la demi-vie des anticorps est prolongée et leur capacité à recruter des effecteurs du système immunitaire est augmentée. Les patients bénéficient donc de thérapies ciblées mieux tolérées, avec des injections plus espacées.
Certaines innovations ont permis d’obtenir des anticorps mieux tolérés, plus efficaces, plus ciblés, plus résistants et moins cher. Par exemple, les « semi » anticorps polyclonaux Fab’entech permettent de reconnaître de manière ciblée un virus ou une toxine et de les neutraliser spécifiquement. Le procédé utilisé par Fab’entech permet de conserver seulement la partie active des fragments des anticorps, évitant ainsi une réponse immunitaire trop forte du patient.
D’autres systèmes peuvent constituer de véritables usines vivantes à production d’anticorps. Des équipes de recherche ont fait évoluer la technologie pour synthétiser des anticorps recombinant intégralement humains produits dans des œufs de poules chimériques. La durée de vie et les capacités effectrices des anticorps chimériques, humanisés, et intégralement humains semblent identiques tout en étant bien supérieures à celle des anticorps uniquement de souris. Quant à leurs propriétés d’immunogénicité, elles sont au final peu différentes et bien moindres que celles des anticorps de souris.
Cependant, même si les technologies d’anticorps d’origine non-animale se sont considérablement développées depuis quelques années, elles ne permettent pas encore la production d’anticorps aux propriétés équivalentes à celles des anticorps d’origine animale.
Les instances européennes appellent à la vigilance et à la prudence sur des questions technologiques, scientifique et réglementaire. Par exemple, l’adaptation de ces technologies aux processus industriels de fabrication dans un environnement réglementé n’est pas encore opérationnelle.
La recherche biomédicale a su identifier et valoriser les ressources du vivant pour concevoir une technologie thérapeutique innovante. Le recours à certaines espèces animales en raison de leurs capacités immunitaires reste au cœur de l’innovation des anticorps thérapeutiques comme en témoigne la variété des approches. A ce jour, la grande majorité des anticorps thérapeutiques approuvés repose encore sur des technologies de production d’origine animale.
Les progrès technologiques des dernières décennies ont su révéler le vrai potentiel de ces thérapies. Les anticorps thérapeutiques continuent à révolutionner la médecine et d’apporter des solutions pour répondre aux besoins des patients, avec de nouvelles perspectives pour des maladies jusqu’alors incurables.
Par Mia Rozenbaum