Les zoonoses, ces maladies qui nous lient aux animaux

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François Moutou est membre du Conseil Scientifique du GIRCOR, vétérinaire et ancien chercheur épidémiologiste à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Son dernier ouvrage, écrit en collaboration avec trois autres spécialistes et paru en février 2021, s’intitule « les zoonoses : ces maladies qui nous lient aux animaux ». Nous avons souhaité discuter avec lui pour en savoir plus sur ces pathologies partagées entre les humains et les animaux. L’occasion de revenir sur un sujet brulant qui fait la une de l’actualité depuis maintenant plus d’un an. Que nous apprend donc l’étude de ces zoonoses ? Pour François Moutou, il faut reconsidérer les liens que nous entretenons avec les animaux et l’ensemble du monde vivant afin de mieux prévenir et se protéger contre les pathologies communes. Explications.

Des barrières entre les espèces ?

La santé des humains est intimement liée à la santé des écosystèmes. Ecologie et épidémiologie sont même indissociables à ses yeux. « L’épidémiologie peut s’expliquer par  l’écologie, et vice versa. Tout est une question d’échelles et de perspectives » explique François Moutou. L’écologie étudie les relations qui réunissent des êtres vivants entre eux et avec leur environnement :  des interactions de rapprochement ou de conflit, comme de proies et de prédateurs. Comparativement, l’épidémiologie des maladies infectieuses et transmissibles  a un regard sur les relations entre des hôtes et leurs microorganismes, qu’elles soient apaisées, symbiotiques ou agressives au point de causer des maladies.

Comme dans tout écosystème, il y a des animaux très spécialisés qui ne survivent que dans des conditions extrêmement spécifiques, et à l’inverse, des espèces généralistes présentent dans des milieux très différents qui savent s’adapter. « Pour les microbes, c’est la même chose, » nous explique François Moutou. « En schématisant un peu, il y a ceux qui ne peuvent survivre que dans une seule espèce, et d’autres qui savent s’adapter et infecter plusieurs espèces. » Ces derniers peuvent passer d’une espèce à l’autre et ne sont pas liés à un animal donné. Il peut donc y avoir tout naturellement des maladies communes aux humains et aux animaux, qu’on appelle des zoonoses.

Et cela fonctionne dans les deux sens.  Exemple avec les bovins. Leur domestication aurait permis la transmission aux humains du virus de la peste bovine, ayant évolué chez l’Homme pour donner le virus de la Rougeole, qui continue à tuer dans les populations humaines, même de nos jours. Mais à l’inverse, avec ce rapprochement, les humains ont contaminé leurs troupeaux avec la tuberculose humaine qui a ensuite évolué en tuberculose bovine qui est encore responsable de pertes économiques importantes en Europe et dans le monde.

« Pour moi, en tant que naturalise, biologiste, et quelqu’un d’intéressé par les notions d’évolution, le concept de barrière d’espèce, avec son aspect figé, est surprenant, et discutable, » argumente François Moutou. « Comme si une barrière physique nous protégeait et qu’un microbe devait se battre pour la franchir. Mais cela sous-entend que chaque espèce est dans sa bulle protégée des autres par une barrière. Or, la biologie nous apprend que la vie est un processus complexe, continu, évolutif. Elle n’est pas une succession de cloisons étanches entre bulles indépendantes que seraient les espèces, mais un grand réseau dans lequel tout se mélange et tout s’hybride. »

Un être humain ne serait pas viable sans les millions de bactéries qui l’habitent, plus nombreuses même que les cellules humaines, sans les anciennes bactéries symbiotiques que sont les mitochondries dans chacune de ses cellules ou encore sans les virus qui, au fur et à mesure des millions d’années, se sont incorporés au génome humain. « Imaginer que l’on vit comme des espèces séparées dans des bulles différentes est vraiment une mauvaise perception du monde, » affirme François Moutou.

Si nous admettons que cette notion de barrière des espèces n’est pas pertinente, cela veut dire que la santé est quelque chose qui se partage entre les espèces. La santé des humains n’a alors pas de sens si on l’isole du reste du monde vivant. « il faut l’accepter, et ne pas imaginer uniquement la santé humaine comme étant le centre du monde et tout aménager autour de cette santé, » ajoute François Moutou. « Il faut à nouveau partager l’intérêt commun entre humains et non-humains. Je pense que la notion de « One Health » nous apprend aussi à regarder le monde vivant avec un regard un tout petit peu moins anthropo-centré. Nous ne sommes pas les seuls êtres vivants sur Terre et nous avons besoin des autres comme les autres ont peut-être besoin de nous. Au final il s’agit de développer une meilleure compréhension du vivre ensemble sous toutes ses formes et l’élargir aux animaux et aux micro-organismes. Ils sont fondamentaux. Nous avons besoin de comprendre comment ils vivent, et cohabitent avec les espèces autres qu’Homo sapiens. Il faut ouvrir un peu les frontières, supprimer ces barrières d’espèces contradictoires avec les idées de partage, et d’universalisme dans lequel figure aussi l’humanisme. Le monde n’est pas fait que pour l’Homo sapiens, voire que pour certains d’entre eux, loin de là. » Il faut bien distinguer danger (le microbe) et risque (la probabilté d’être contaminé par le microbe) et tirer les bonnes conclusions, la prévention.

Le rôle de l’humain dans les pandémies

Si nous regardons le monde animal et les mammifères en particulier, il y a deux groupes qu’il faut particulièrement surveiller, ne serait-ce qu’en terme de nombre. Environ 6 000 espèces différentes de mammifères ont été identifiées aujourd’hui, et presqu’une moitié sont des rongeurs et un quart des chauves-souris. « Ces deux groupes, simplement par leur nombre et leur diversité, hébergent potentiellement le plus de microorganismes. Si les rongeurs ont été étudiés depuis déjà pas mal d’années, les chauves-souris ont un peu échappé au regard des chercheurs. Elles sont compliquées à étudier. On les croise moins souvent, elles sont moins faciles à approcher, mais les chauves-souris commencent peu à peu à intégrer le champ de la médecine et de l’épidémiologie, » explique François Moutou.

 « Il faut bien entendu faire attention aux animaux et à leurs microbes, mais avant toute chose, il faut faire attention à l’espèce humaine. » C’est d’ailleurs souvent l’espèce humaine qui joue un rôle central dans les épidémies émergentes, en particulier celles des dernières années. Au milieu du 20eme siècle on dénombrait moins de 3 milliards d’humains sur Terre. En 2024, nous serons 8 milliards. La population mondiale aura plus que doublé en quelques dizaines d’années et dans le même temps la diversité sauvage s’éteint. « Tandis que nous assistons à  l’effondrement des populations animales sauvages, l’espèce humaine augmente de façon considérable, en effectif mais également en mouvement. » 

En 2019, on estime que les compagnies aériennes ont transporté 4 milliards d’humains en 12 mois. Si un virus – et c’est ce qui s’est passé avec la COVID-19 – arrive dans une population humaine, localement très dense et qui bouge autant, il peut conduire à une pandémie en quelques mois voire quelques semaines. « Et si nous continuons à bouger, à occuper de l’espace, et à envahir le monde pour nos besoins, notre alimentation, nos loisirs, et tout ce dont nous avons besoin pour vivre, parfois malheureusement bien au-delà, objectivement, ce genre d’évènement pandémique est voué à se répéter. »

Chauve-souris Megaderme, Kenya – crédit photo François Moutou

Quels outils pour mieux anticiper et se protéger ? 

Pour François Moutou, il est donc moins important d’essayer d’empêcher le point de départ d’une émergence, que de réussir rapidement à l’identifier, limiter sa propagation, pour éviter qu’elle ne devienne une épidémie, voire une pandémie. Certains comportements humains sont à risque. Les sciences humaines sont à prendre en compte. Ensuite il faut investir sur la prévention, donc développer des outils pour enregistrer, comparer, analyser mais également disposer d’experts pour traiter les données. Il faut des spécialistes pour savoir reconnaitre rapidement de quel virus il s’agit mais aussi pour identifier le vecteur animal d’origine, comprendre les mécanismes d’entrée du virus ou son fonctionnement de manière générale sans oublier de développer des thérapies et des outils de prévention médicale comme des vaccins. « Il faut faire des tests en laboratoire, pour connaître le virus et notamment son impact dans différentes espèces animales pour vérifier si le schéma connu chez les humains peut se reproduire » ajoute-t-il. « Un animal qui est résistant au virus a sans doute un système immunitaire qui peut apporter des clés pour mieux comprendre et appréhender une forme de protection contre le pathogène émergent correspondant. »

La recherche sur les animaux est donc centrale dans l‘étude des zoonoses et la prévision d’évènements pathogéniques pour l’humain comme pour d’autres espèces, nous explique Fraçois Moutou. « En tant que vétérinaire, je trouve que le grand public a une conception du monde animal non-humain particulière, trop souvent centrée sur leur expérience et donc sur les seuls animaux qu’ils cotoient. Ils voudront que leurs chiens soient bien soignés et vaccinés. Mais pour mettre au point ces vaccins et médicaments tant demandés, on doit pouvoir travailler avec ces même animaux en amont, au laboratoire. On a besoin de travailler sur des tissus humains pour comprendre les maladies humaines, mais il en va de même pour les maladies des chiens, chats, vaches, moutons, chèvres afin qu’ils soient en bonne santé. » Les études chez la souris, le rat ou autres peuvent compléter et enrichir les découvertes qui permettront d’en apprendre plus sur les causes et les conséquences des maladies. Néanmoins, tous les animaux ne peuvent pas être étudiés en laboratoire et certaines espèces sont donc difficles à apréhender et donc à soigner.

« Il est encore possible d’utiliser des modèles in vitro ou des organoïdes. Dans le cas de la fièvre aphteuse dont le virus est délicat à manipuler, on utilise beaucoup de modèles mathématiques pour reconstituer « in silico » ce qu’on voit sur le terrain. Il est possible de modéliser les caractéristiques épidémiologiques des virus, leur temps d’incubation, leur durée ou forme d’excrétion, leur survie dans l’environnement, afin d’identifier, par exemple, le nombre d’animaux d’une certaine espèce nécessaire pour entretenir l’infection au sein d’une population ou au contraire définir un seuil en dessous duquel on arrive à bloquer la transmission et éteindre un foyer épidémique sans forcément éliminer les animaux en question, » ajoute le vétérinaire.

C’est le travail de médecins, microbiologistes, virologues, généticiens, épidémiologistes, zoologistes, écologues, vétérinaires et bien d’autres. Ces notions d’émergences sont extrêmement délicates à interpréter si les bons outils ne sont pas mis entre les bonnes mains. Et la récente pandémie en fait foi.

Civette dans une ferme d’élevage du sud de la Chine en 2003 – crédit photo François Moutou

Quels enseignements pour le futur ?

« Quand la COVID-19 est apparue, ici en Europe personne n’a été inquiet tout de suite. Il manquait beaucoup d’informations pour comprendre l’envergure de la situation, notamment par manque de transparence dans le pays source. Par conséquent, les moyens, les enjeux économiques, logistiques et scientifiques n’ont absolument pas été adaptés. » Selon François Moutou, pour anticiper et contrôler les pathologies émergentes, il faut donc être capable d’identifier rapidement une anomalie sanitaire mais aussi être capable d’appréhender son potentiel de dangerosité et agir en conséquence. « Mais pour y arriver, il faut que tous les pays de la planète jouent le même jeu, avec les mêmes outils, de façon coordonnée et sans concurrence économique ni politique. Et pour la COVID-19, clairement ça n’a pas été le cas, surtout au début. »

Le problème, c’est que l’on ne prend pas le temps d’apprendre de nos erreurs. « A l’échelle d’un pays comme la France, nous ne prennons pas le temps de faire un retour d’expérience après la phase de la crise pour essayer d’avancer et d’apprendre de nos difficultés et surtout de ne pas les répéter. » Mais ce n’est pas qu’une question d’instances scientifiques et de politiques gouvernementales. A ses yeux, la science et la démarche scientifique sont trop mises de côté pour qu’elles aient un réel impact auprès des populations. « L’enseignement des sciences est extrêmement réduit. Les zoonoses ne sont jamais qu’un exemple d’écologie appliqué à des relations entre microbes, humains et animaux. Mais si nous n’enseignons plus la biologie, l’évolution, l’écologie, la zoologie au sens large, on ne peut pas espérer transmettre ces notions. Il faut commencer par les bases. Il sera ensuite possible de faire comprendre que la science avance avec des échecs et avec des théories qui sont régulièrement remises en question par de nouvelles découvertes. C’est le défi de la vulgarisation. »

Dans son rôle de membre du conseil scientifique du GIRCOR, François Moutou espère apporter un peu de cet équilibre auquel il tient tant. « Il faut une balance entre une approche purement médicale, purement économique, purement politique mais également ne pas oublier l’écologie dans les réflexions à venir. J’ai des confrères et des collègues qui sont très compétents dans ces premiers domaines, mais si je peux apporter un peu de ce dernier concept à la discussion, je pense que je n’ai pas complètement perdu mon temps. J’espère ouvrir le débat pour qu’il ne concerne pas uniquement les humains ou les animaux domestiques ou d’élevage dont nous dépendons, pour y inclure les autres espèces, » finit-il par conclure.

Pour en savoir plus sur les zoonoses et sur les travaux de François Moutou

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