Le concept de « One Health » ou « une seule santé » est une initiative qui vise à impliquer l’ensemble des acteurs de la santé humaine, animale et environnementale pour prévenir et traiter les maladies. Avec la pandémie de COVID-19, nous prenons la réelle mesure de sa signification. Animaux réservoirs, hôtes intermédiaires encore inconnus, circulation du virus à la faune domestique ou sauvage, recherche animale pour comprendre le virus et trouver un traitement… les espèces animales, les populations humaines et les écosystèmes sont particulièrement interdépendants dans cette crise.
L’Académie Vétérinaire de France (AVF) et l’Académie Nationale de Médicine (ANM) ont choisi de faire un point « One Health » sur la pandémie en organisant une séance commune le 3 décembre 2020 intitulée « COVID-19 et une seule santé ». Animé par Jeanne Brugère-Picoux de l’AVF, avec le soutien et la Société Vétérinaire Pratique de France (SVPF) et du Laboratoire Ceva, ce webinaire international a réuni des chercheurs médecins et vétérinaires du monde entier, et notamment de Wuhan, foyer de l’épidémie en Chine. La coopération internationale prend tout son sens en ce moment de crise, comme en témoigne l’intérêt des professionnels pour le séminaire (+ de 600 participants !) et les nombreux échanges qui ont eu lieu pendant (et après) le cycle de conférences. Le GIRCOR fait le point pour vous sur les moments clés de la rencontre.
Médecins et vétérinaires : une expertise COVID-19 collective
Dès le début de la pandémie, l’ANM et l’AVF ont mis sur pied des groupes de travail spécialisés Covid-19, pour assurer la veille et la communication des professionnels au fil de l’évolution des découvertes et des évènements de la crise.
Le Dr. Yves Buisson, président de la cellule COVID de l’ANM, s’est exprimé sur l’importance de cette coopération avec l’AVF pour la publication d’avis et de recommandations tout au long de l’épidémie : « nous avons su garder notre indépendance vis-à-vis des politiques et des groupes pharmaceutiques, tout en animant la collaboration inter académique ». Les communiqués de presse sont diffusés en ligne sur le site de l’ANM. Présidé par Marc Dhenain (CNRS), le comité COVID-19 de l’AVF assure comme pour l’ANM la veille et la publication de communiqués. L’un des derniers avis publiés est inter académique et détaille la position de l’AVF et de l’ANM sur la sensibilité des espèces animales au SARS-cov2 et les risques en santé publique.
Le Dr. Jean-Luc Angot, président de l’AVF, a dressé un état des lieux des coronavirus chez les espèces animales. Il rappelle que le premier coronavirus a été mis en évidence en 1931 chez le poulet et que de nombreuses espèces animales peuvent être réservoirs et/ou sensibles à plusieurs coronavirus, répartis-en 4 classes. Les coronavirus pathogènes les plus connus chez les animaux domestiques sont les agents de la Péritonite Infectieuse Féline (PIF), de la Bronchopneumonie Infectieuse Aviaire (BPIA) chez le poulet et du Syndrome de Diarrhée Aigue (SADS) chez le porc, par ailleurs zoonotique. Il existe déjà des vaccins comme pour les diarrhées à coronavirus chez le veau ou la BPIA. 3 coronavirus zoonotiques ont déclenché des épidémies ces dernières décennies : le SARS-Cov1, le MERS-Cov et dernièrement, le plus dévastateur le SARS-Cov2. En 1867, Rudolf Virchow disait « il ne se passe pas une année sans que l’on découvre un virus chez l’Homme ou les animaux » ; le Aujourd’hui plus que jamais le Dr Angot rappelle la vigilance qu’il faut conserver vis-à-vis de l’émergence de nouveaux agents pathogènes, souvent d’origine animale, et sur l’importance de la collaboration entre les médecins et les vétérinaires pour la gestion de ces crises. L’exemple célèbre du vaccin BCG contre la tuberculose, élaboré par un médecin (Calmette) et un vétérinaire (Guérin), est particulièrement à propos.
Pour la crise COVID-19, près de 5000 vétérinaires se sont portés volontaires pour prêter main forte aux professionnels de santé en France, mais quasiment aucun n’a été mobilisé.
La recherche animale et la Covid-19 : comprendre pour prévenir et traiter
Présentée par son collègue Hervé Bourhy de l’Institut Pasteur, Mme Shi Zheng-Li de l’Institut de Virologie de Wuhan fait le point sur ses travaux de recherche. Ses équipes ont démontré que les macaques sont sensibles au virus et manifestent une forme modérée de la maladie. Ils ont également mis en évidence très tôt que les souris exprimant le récepteurs ACE2 humain sont sensibles au virus : ce récepteur est la clé qui permet au virus SARS-CoV2 de se fixer aux cellules et d’y entrer pour s’y multiplier.
Spécialiste des chauves-souris en Chine, elle explique la grande variabilité génétique des coronavirus en particulier au niveau de l’ADN codant pour la fameuse protéine spike « S ». D’autres virus sont proches génétiquement du SARS-Cov2, comme le RaTG13 (96,2% d’homologie), ce qui confirme l’origine animale de la maladie. Plusieurs autres virus apparentés, les « SARS-CoV-2 related virus » reconnaissent la protéine humaine ACE2 mais leur affinité n’est pas suffisante pour infecter un hôte humain : ils n’ont pas passé la barrière d’espèce.
La concentration des chauves-souris est particulièrement élevée dans le sud de la Chine, « une zone à risque » selon Shi Zheng-Li : « Pour éviter les passages de barrières d’espèces entre les réservoirs, les hôtes intermédiaires et l’homme, il faut comprendre les chaines de transmission et suivre l’évolution génétique de ces virus ». La chercheuse recommande de surveiller l’évolution génétique des virus des chauve-souris et mais aussi de tester les mustélidés sauvages : « trouver le virus avant que ce soit lui qui nous trouve ! ».
Les coronavirus ont un gros potentiel évolutif et sont capables de passer les barrières d’espèces. Sophie Le Poder et Stephan Zientara (UMR de virologie de l’ENVA), font le point sur la sensibilité des transmissions du SARS-Cov2 aux espèces de compagnie et de rente.
Nos animaux domestiques risquent-ils aussi d’attraper la COVID-19 ? Jouent-ils un rôle dans la propagation du virus ? Des études expérimentalesont permis de vérifier les risques encourus par nos animaux de compagnie et leur rôle potentiel dans l’épidémie. Par exemple, en conditions expérimentales, le chien est réceptif, non sensible (pas de symptômes) mais il n’y a pas de transmission entre les individus porteurs. En revanche, le chat manifeste des symptômes et une transmission entre individus.
En conditions naturelles, les chats peuvent se contaminer par l’Homme, comme cela a été décrit dans les pics de l’épidémie en Chine mais aussi en France (au moins 2 cas). Chez le furet domestique, bien que sensible et réceptif au niveau expérimental, aucun cas de transmission par l’Homme n’a pour l’instant été décrit.
Chez les animaux de rente, les bovins sont réceptifs mais non sensibles ni ne transmettent pas le virus. Chez le porc, pas de signe clinique, pas d’infection naturelle décrite non plus. Ce qui est étonnant car la protéine ACE2 du porc est sensible in vitro au virus. Les visons sont sensibles : plusieurs élevages ont été touchés au Danemark, au Pays-Bas, France, Espagne et USA suite à des contaminations d’origine humaines.
Que faire avec nos animaux domestiques dans ce cas ? L’ANSES a actualisé son avis et publié le travail du groupe d’expertise collectif d’urgence (GECU) « Covid-19 » dans le rapport sur le rôle épidémiologique des animaux sauvages et domestiques. Les conclusions précisent qu’ils n’ont pas d’impact sur le maintien et la propagation du SARS-CoV2, mais que certaines situations particulières de forte pression virale appellent à la vigilance et a des mesures sanitaires spécifiques, pour ne pas constituer à l’avenir un réservoir animal de SARS-CoV2.
La recherche animale permet donc de comprendre quelles sont les espèces à risque mais qu’en est-il des mécanismes d’attaque du virus au niveau cellulaire ? Elodie Mouchatre-Leroy (Anses Nancy, Vice-Présidente de la Société vétérinaire pratique de France) a conduit des travaux de recherche sur des furets et des hamsters. Ses études ont pour objectifs de valider la modélisation de la COVID-19 chez ces 2 espèces, de comparer les 2 modèles, et d’analyser l’effet pathogène du virus en particulier pour expliquer l’anosmie (absence de gout).
Objectifs atteints ! les études ont permis de valider ces nouveaux modèles. Infectés par voie intranasale, les hamsters manifestent une diminution de leur prise de poids et les furets des symptômes respiratoires (reniflement) et une léthargie. Les analyses immuno-histochimiques démontrent que le virus s’attaque chez ces espèces non pas aux neurones du bulbe olfactif directement mais à des cellules de soutien de l’épithélium olfactif. Grâce à ces nouveaux modèles, son équipe va pouvoir prochainement étudier le rôle de l’interféron bêta dans l’orage cytokinique.
Gérer les épidémies au niveau mondial : retours d’expérience
Le primatologue allemand Fabian Leendertz (Institut Koch, Berlin) nous rassure : à sa connaissance « aucun grand singe n’a pour encore été contaminé par le SARS-CoV-2 ».
Le concept de « One health » est particulièrement flagrant dans les situations d’observation et d’interaction avec les populations animales dans leurs milieux naturels : les risques de transmission existent dans les deux sens. Les populations de grands singes et humaines, génétiquement très proches, partagent la même sensibilité à plusieurs maladies contagieuses. Des cas de contamination de certains groupes sauvages ont malheureusement déjà été décrits comme par exemple des pneumonies à streptocoques. Grâce à leur expérience de terrain, le primatologue et ses confrères ont édité un guide de recommandations sanitaire afin de prévenir les contaminations inter-espèces.
Les Pr Wang Xinghuan et Pr Zhao Yan (CHU Zhongnan du Wuhan) nous délivrent leur retour d’expérience depuis le front chinois, foyer de l’épidémie. Avec rationalisme, ils remercient la France pour l’aide qu’ils ont reçu et nos encouragements pour nous débarrasser du virus. En attendant les vaccins, ils insistent sur l’importance des tests dans l’environnement et dans la population afin d’isoler les positifs et d’identifier les circuits de contamination pour l’éradication du virus.
Le Pr Moncef Bouzouaya (Ecole vétérinaire de Sidi-Thabet, Tunisie) termine le cycle de conférence en faisant le point sur une autre épidémie de coronavirus qui sévit chez les volailles d’élevage : La Bronchite infectieuse Aviaire. Ses explications illustrent la répartition mondiale et le sérieux impacts économiques de cette maladie pour la filière. Plusieurs variants du virus existent et des vaccins sont disponibles. Cet exemple de gestion d’une autre coronavirose nous enseigne l’importance des mesures sanitaires et de l’efficacité des vaccins.
Jean-François Mattei, président de l’ANM conclut « La pandémie qui nous a touché met le doigt précisément sur le concept de One Health, nous comprenons qu’il y a une triangulation permanente entre l’Homme, les animaux et l’environnement. Conservons une note positive sur les enseignements de la pandémie : nous avons assisté à une mobilisation sans précédent de la communauté scientifique internationale, qui a notamment permis de développer un vaccin en 8 mois, un record. Nous ressortirons plus fort de cette crise ».
Son homologue de l’AVF, Jean-Luc Angot, confirme que cette pandémie illustre le concept de One Health « c’est aussi croiser les regards comme aujourd’hui : à travers différents domaines scientifiques vétérinaires et médecins, mais aussi entre les pays. Pasteur disait que c’est l’Homme qui établit des catégories car pour lui qui n’était ni vétérinaire ni médecin, la science n’est qu’une ».
Docteur vétérinaire Jean Marie Héliès, GIRCOR